Chapitre 13 : Sous surveillance

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LOGAN


La première bouffée d'air frais fait un bien fou. J'avais l'impression que l'air se faisait de plus en plus rare à l'intérieur du tunnel. C'est probablement mon esprit qui me jouait un mauvais tour. Et je ne peux pas lui tenir rigueur après la découverte que nous venons de faire. Imogen et moi n'avons pas osé parler durant le trajet retour jusqu'à la forêt. C'est moi qui finis par briser le silence, mais pas de la manière la plus logique dans ce type de situation. Je me mets à rire.

—    Est-ce que tu es en train de perdre la tête ? demande Imogen en haussant les sourcils. Ça ne m'arrangerait pas trop, j'ai encore besoin de ton cerveau.

Au bout de quelques secondes, j'arrive à prendre le dessus sur mon fou rire.

—    C'est juste... parviens-je alors à répondre. Je n'arrive pas à croire que ces enfoirés étaient dans le coup depuis le début et que je n'ai rien remarqué.

—    Et qu'est-ce qu'il y a de drôle là-dedans ?

—    Rien du tout. J'ai tendance à rire quand je suis en colère.

—    Ça n'a vraiment aucun sens.

—    Tu n'avais pas déjà remarqué que j'étais bizarre ?

Imogen répond par une grimace qui laisse entendre qu'elle l'avait bien remarqué. Je décide de vite recentrer la conversation avant qu'elle soit tentée de me poser des questions personnelles, comme l'autre jour. Ça vaut mieux pour tout le monde qu'elle en sache le moins possible sur moi et sur mon passé.

—    Enfin, peu importe, dis-je. On va devoir ajuster nos projets d'évasion en tirant parti de ces nouvelles informations.

—    Comment ?

—    Jusque-là, ce sont nos ennemis qui avaient une longueur d'avance sans même qu'on le sache. Mais les rôles sont inversés maintenant. Les adultes sont ici pour nous surveiller de près, alors on va les surveiller à notre tour. Aux yeux de tous, on est des marionnettes sans véritable libre arbitre, ce qui veut dire qu'ils ne seront pas sur leurs gardes en permanence. Je les ai laissés me duper une fois, mais crois-moi, ça n'arrivera plus.

Imogen esquisse un petit sourire tout en acquiesçant. Elle a tout de suite compris où je voulais en venir. Depuis le début, nous étions au cœur d'un jeu d'échecs qui se jouait à notre insu. Mais plus nous en apprendrons sur les règles de ce jeu, plus nous aurons une chance de gagner.

Que la partie commence.


Dès le lendemain, je commence à observer ce qui se passe dans la maison d'un nouvel œil. S'il y a quelque chose à remarquer dans le comportement de la femme qui joue le rôle de ma mère, je ne veux pas le manquer. Mais pour le moment, elle agit comme elle le fait tous les jours depuis notre emménagement forcé. Correction : forcé pour Eden et moi, pas pour elle. Celle qui prétend être Teresa Dunbar joue la comédie depuis le premier jour.

Après un petit déjeuner assez ordinaire durant lequel je reste dans mon coin, nous partons en direction du lycée tandis que notre mère fictive reste à la maison. Je ne me suis jamais vraiment demandé ce qu'elle faisait lorsqu'elle était seule la journée, mais maintenant que je connais la vérité sur son rôle au sein de Providence, je suis curieux. Je fais à peu près les trois quarts du chemin avant de lancer mon plan. J'arrête soudainement de marcher et Eden finit par se tourner vers moi.

—    Mince, dis-je d'un air embêté. J'ai oublié de prendre mon livre pour le cours de littérature. Je dois retourner le chercher. Continue sans moi.

Eden n'émet aucune objection. Ce n'est pas comme si j'allais lui manquer pendant le reste du trajet étant donné que je suis un compagnon de marche très silencieux. Je prétends me dépêcher de rebrousser chemin, mais lorsque je disparais du champ de vision d'Eden, je ralentis sur-le-champ. Je veux laisser un maximum de temps à notre gardienne de prison pour débuter la partie de la journée où elle pense être à l'abri des regards.

Lorsque j'arrive à la maison, j'ouvre et je referme tout doucement la porte d'entrée. Dès mes premiers pas à l'intérieur, je constate qu'il n'y a pas le moindre bruit. J'inspecte les pièces une par une, ne sachant pas vraiment ce que j'espère trouver. Je me contenterais de n'importe quel indice qui pourrait nous aider, aussi petit soit-il.

Une fois le rez-de-chaussée inspecté, je décide de m'aventurer à l'étage. J'évite de m'appuyer sur les marches qui grincent pour ne pas annoncer ma présence. C'est en arrivant sur le palier en haut des escaliers que j'entends enfin quelque chose. J'ai l'impression d'être de retour dans les tunnels souterrains, quand nous sommes arrivés près de l'église. Je peux entendre une voix étouffée, comme s'il y avait un obstacle entre la personne à qui elle appartient et moi. Je pense d'abord que Teresa se trouve dans une pièce à la porte fermée, mais le son me paraît trop lointain pour cela.

Mon regard part dans tous les sens, à la recherche de l'origine du bruit. Je finis par comprendre en baissant la tête. Juste au-dessus de la plinthe au pied du mur, il y a une bouche d'aération rectangulaire. Je décide de m'agenouiller afin d'approcher mon oreille. J'avais vu juste. La voix est bien plus distincte, maintenant. Pas assez pour déchiffrer tous les mots, mais suffisamment pour la reconnaître.  Teresa est en train de parler, mais je n'entends personne d'autre avec elle. Est-elle au téléphone ?

—    Le dîner ... comme d'habitude, dit-elle. Eden ... raconté sa journée sans ... Logan est plus réticent mais ... toujours à mes questions. Reste de la soirée ... sans problème ... leur travail scolaire ... dans leur chambre. Fin de compte-rendu.

Un compte-rendu ? Avant de pouvoir me poser davantage de questions, j'entends un crissement de chaise. Je me relève en vitesse et je fais un tour rapide dans ma chambre pour récupérer le livre que j'ai fait exprès d'oublier. J'adopte une démarche aussi naturelle que possible, puis je redescends les marches quelques instants plus tard. Teresa est déjà dans le salon lorsque je la croise. La surprise se devine immédiatement sur son visage, mais elle ne panique pas pour autant. Quant à moi, je fais de mon mieux pour ne rien laisser paraître. Après plus de cinq mois dans cet enfer, je pense être devenu plutôt doué à cet exercice-là.

—    Logan, dit-elle en réajustant les épingles dans ses cheveux. Je ne t'ai pas entendu entrer. Il y a un problème ?

—    J'avais oublié mon livre sur mon bureau, dis-je. Il faut que je me dépêche si je ne veux pas être en retard.

—    Oh, d'accord. À ce soir, alors. File.

Je continue mon chemin jusqu'à la porte, cherchant d'ores et déjà un moyen d'utiliser la nouvelle information que je viens de récolter.


Le soir même, j'utilise mon talkie-walkie pour partager ma découverte avec Imogen. Je me place aussi loin que possible des murs de ma chambre et je fais attention à ne pas parler trop fort. Et juste par précaution, je m'enveloppe de ma couette pour étouffer un peu plus le son. On ne connaît pas encore le rôle exact que les prétendus parents jouent dans tout cela, mais nous avons au moins la certitude qu'ils nous espionnent pour rapporter nos faits et gestes à une tierce personne. Il vaut donc mieux partir du principe que nos chambres ne constituent pas un espace privé.

—    Et tu es sûr d'avoir regardé dans toutes les pièces ? demande Imogen lorsque je termine mon histoire.

—    Certain. Et ça ne peut vouloir dire qu'une seule chose. Il y a une pièce secrète dans la maison.

J'y ai réfléchi à plusieurs fois au cours de la journée et c'est la seule explication plausible. Le conduit d'aération mène forcément quelque part.

—    Une pièce secrète, répète Imogen. Et comme les maisons ont été construites sur le même modèle...

—    Ouais, c'est sûrement le cas chez les Kennedy aussi, dis-je pour compléter sa pensée. Si on arrive à entrer dans l'une des deux pièces, on y trouvera peut-être des réponses.

—    Reste à savoir comment entrer sans se faire remarquer par ceux qui nous surveillent de près.

—    De ce côté-là, je crois que j'ai une idée.

Les marionnettesWhere stories live. Discover now