Chapitre 31 : Sous contrôle

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Je voudrais hurler. Je voudrais me débattre. Je voudrais courir dans la direction opposée. Mais je ne peux faire aucune de ces choses car Noah m'a ordonné de le suivre sans faire d'histoires. Je me doutais que la manipulation mentale était une sensation terriblement frustrante et oppressante, mais je n'imaginais pas à quel point. Je ne peux m'empêcher de ressentir une soudaine vague de compassion pour tous les habitants de cette île, y compris ceux qui complotaient dans notre dos depuis le départ. Ils ont été forcés de me traquer comme si leur vie en dépendait, puis on les a obligés à rester immobiles pendant je ne sais combien de temps. Leur situation était bien différente, car ils ne se rendaient pas compte qu'ils agissaient sous les ordres de quelqu'un d'autre, mais j'ai tout de même de la peine pour eux.

Je suis Noah jusqu'à la muraille qui entoure la ville, mes pensées comme seule compagnie. Mon ravisseur n'a pas dit grand-chose depuis qu'il a activé le contrôle de mon implant. Il a sorti son Walkman pour consulter ce qui était enregistré sur une cassette. Depuis le début, je pensais que l'appareil lui servait à écouter de la musique, mais maintenant que je connais sa véritable identité, je fais immédiatement le lien avec le magnétophone qui se trouvait dans la pièce secrète de « Teresa Dunbar ». La cassette doit contenir le rapport hebdomadaire d'un des adultes de Providence.

À tous les coups, Noah doit déjà être en train de penser aux prochaines étapes de son plan machiavélique. Je n'arrive toujours pas à croire qu'une seule personne puisse avoir autant de haine en elle. Après tout ce qu'il a fait, je le déteste de toutes mes forces. Mais curieusement, même cette colère semble moins intense que la sienne. Des années à nourrir ce sentiment destructeur laissent inéluctablement des traces.

Grâce à son smartphone, Noah débloque la partie du mur qui constitue le seul moyen d'entrer dans la ville ou d'en sortir. De l'autre côté, comme me l'avait expliqué Mateo, se trouve le coin dans lequel sont garées les camionnettes utilisées par les sbires des Dunbar. Un peu plus loin, un long ponton en bois marque l'endroit où les personnes venant de l'extérieur peuvent accoster. C'est d'ailleurs ce qui est sur le point de se produire d'ici quelques minutes. À l'horizon, je peux voir un ferry avancer tout droit vers nous. Les fameux investisseurs sont là.

Au fur et à mesure qu'ils approchent, l'expression sur le visage de Noah se transforme. Il passe d'une certaine neutralité à quelque chose qui ne correspond pas du tout à la personnalité qu'il m'a révélée deux heures plus tôt. Il affiche un faux sourire avant de faire signe de la main aux passagers du bateau, comme s'il était le manager d'un hôtel cinq étoiles venu accueillir ses clients les plus prestigieux. Je vais être à nouveau témoin des talents d'acteur de Noah, mais cette fois je suis aux premières loges, consciente que tout ce qui se déroule devant moi n'est qu'un mensonge.

Les investisseurs descendent un par un du ferry, et Noah les accueille avec une poignée de main tandis que je reste plantée à côté de lui, incapable de bouger. Ils sont tous habillés comme s'ils s'apprêtaient à rejoindre une réunion d'affaires. J'imagine que c'est un peu le cas, après tout. J'observe chacun des nouveaux arrivants tout en essayant de calmer les battements de mon cœur. Ces personnes n'ont peut-être pas directement participé à la torture des adolescents de cette île, mais ils sont tout aussi responsables de ce qui nous est arrivé. Si ce n'est plus, car c'est leur argent qui maintient le bon fonctionnement de cette expérience nauséabonde.

Lorsque Noah utilise leurs noms pour mieux les saluer, cela me permet de réaliser un détail que je n'avais même pas envisagé. Ces noms ne me sont pas inconnus. Je les ai déjà entendus ici même, à Providence. Les investisseurs sont des anciens habitants de la ville ayant inspiré ce cauchemar, tout comme Logan Dunbar.

—    Et mademoiselle Kennedy, s'exclame Noah en serrant la main de l'avant-dernière passagère. Toujours un plaisir de vous voir.

L'espace d'une seconde, Noah se tourne vers moi et je n'ai pas besoin de me demander si le sourire qu'il m'adresse est sincère ou non. La véritable Imogen Kennedy passe une main sur son tailleur-pantalon afin de faire disparaître les plis qui se sont probablement formés lors du voyage. Physiquement, elle ne me ressemble absolument pas. Ses cheveux sont plus foncés que les miens, tandis que ses yeux sont bien plus clairs. Cela n'a rien d'étonnant. Selon Laura, nos rôles ici sont attribués de manière à ce que nos personnalités correspondent à notre nouvelle identité. Enfin, c'est le cas pour la grande majorité des prisonniers. Comme j'ai pu le constater à plusieurs reprises, Imogen et moi ne sommes pas ce qu'on pourrait appeler des âmes sœurs partageant les mêmes valeurs.

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