Chapitre 6 : Disparition

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Je ne sais vraiment pas comment j'ai pu m'endormir au beau milieu de cet enfer. J'imagine que mon cerveau n'avait plus la force de cogiter tout en fixant le plafond. Durant un bref instant, lorsque je termine ma traversée depuis le monde des rêves, j'oublie la situation dans laquelle je me trouve. Je m'attends à me réveiller sur un matelas à même le sol, dans une pièce où le papier peint se décolle, entourée d'une agitation facilement perceptible à travers la fenêtre qui laisse passer tous les bruits. Mais ce n'est pas tout. Quelque chose me traverse l'esprit. Je ne saurais déchiffrer ma première pensée de la journée, mais je m'y raccroche comme une naufragée à un radeau. Je dois vite préparer le petit déjeuner. Chris ne doit surtout pas être en retard à l'école.

Ce moment de confusion prend fin en moins de temps qu'il me faut pour ouvrir les yeux. Était-ce encore un souvenir provenant de mon ancienne vie ? Une chose que la véritable moi aurait pensé au saut du lit ? Dans ce cas, la personne à qui elle... Non, à qui je pensais doit être importante à mes yeux. Chris. Je murmure ce prénom une fois, puis deux, mais ça ne m'aide pas à stimuler ma mémoire. Je ne me souviens de rien d'autre, et pourtant j'ai une drôle de sensation dans la poitrine. Comme si un poing venait de serrer mon cœur.

Je n'ai pas l'occasion de me poser davantage de questions car un bruit attire mon attention vers la porte de la chambre. Quelqu'un vient de frapper d'une main incertaine. Dans la foulée, la porte s'entrouvre légèrement, faisant entrer de la lumière dans la pièce. Je peux distinguer la silhouette de la mère d'Imogen dans l'encadrement. Elle porte un tablier par-dessus une robe de couleur vive, comme hier matin.

—    Oh trésor, dit-elle d'un ton affectueux. Tu as encore oublié de mettre ton réveil. Je peux comprendre ton envie de grasse matinée, mais ça devra attendre ce week-end.

Sur ces mots, Mme. Kennedy traverse la chambre pour ouvrir les rideaux et ainsi faire entrer la lumière de l'aube. Je me frotte les yeux pour chasser les résidus de sommeil avant de m'asseoir au bord du lit. La mère d'Imogen est sur le point de rebrousser chemin lorsque ses yeux s'attardent sur ma penderie laissée ouverte. Je commence vaguement à me dire que quelque chose ne va pas jusqu'à ce qu'elle m'adresse un sourire.

—    Couvre-toi bien, dit-elle. Il fait bien plus froid qu'hier.

J'ai encore une sensation étrange à l'intérieur de moi. Je crois que je ne suis pas habituée à ce qu'on s'inquiète pour mon bien-être. Une fois que Mme. Kennedy a quitté la pièce, je commence à me préparer pour ma deuxième journée à Providence.


Marcher jusqu'au lycée me permet de réfléchir sans que personne ne me reproche d'être perdue dans mes pensées. Noah est à côté de moi mais le silence ne semble pas du tout le déranger. Nous sommes à peine arrivés au bout de notre rue lorsqu'il place son casque sur ses oreilles. Je repense alors à ma découverte d'hier soir. Providence a été bâtie sur une île, ce qui signifie que je pourrais me trouver sur n'importe quelle partie de la planète et que je n'ai aucun moyen de savoir combien de kilomètres me séparent du pays le plus proche. Tout n'est vraiment qu'une illusion ici. Adieu mes projets d'aller chercher de l'aide dans les villes voisines. Je vais devoir me contenter de ce qui se trouve dans l'enceinte de cette muraille en béton.

J'en viens inévitablement à m'interroger sur le but de tout cela. Les personnes responsables de la création de Providence se sont données beaucoup de peine pour confectionner une petite ville aux apparences parfaites. Tout a été pensé au millimètre près, y compris la manière de contrôler les résidents et leurs souvenirs. Il y a forcément un lien avec les espèces d'anneaux électroniques que tout le monde porte autour de l'oreille. Mais pour une raison que j'ignore, l'appareil a effacé mon passé sans pour autant permettre aux personnes qui tirent les ficelles en coulisses de me manipuler. Et si d'autres habitants étaient dans le même cas ? Après tout, Louise a probablement perdu la tête car son anneau ne fonctionnait plus correctement. C'est tout ce que je sais pour le moment. Il va me falloir plus d'éléments si je veux espérer découvrir ce qui se trame dans cette ville.

Les marionnettesWhere stories live. Discover now