Chapitre 33 : Dernier acte

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Tout est prêt pour le massacre. Lorsque nous approchons du centre de Providence, nous devons contourner la grand-place car elle est bondée de monde. Probablement un ordre donné par Noah avant de partir en direction du port pour accueillir les investisseurs. La vue de ce rassemblement me donne presque la nausée. Je voudrais sauter de la voiture pour leur crier de partir aussi vite que possible. Même si je pouvais bouger, ma tentative de les sauver serait futile. Sans le téléphone du marionnettiste, aucun d'eux ne m'écoutera.

Pendant près d'une heure, nous avons fait le tour de la ville, passant par la majorité des quartiers résidentiels avant de revenir sur nos pas. Mais la visite guidée touche désormais à sa fin. Une fois les camionnettes garées à une centaine de mètres de la foule, Noah guide notre petit groupe à l'intérieur de l'église en passant par une petite porte au sud du bâtiment. Il propose aux investisseurs et à sa tante d'attendre près de la double porte en bois tandis qu'il règle les derniers détails. Tout le monde acquiesce sans trop savoir ce qui les attend. Noah leur a promis une « présentation » en leur honneur, mais ils n'ont pas reçu davantage d'informations au cours du trajet, malgré plusieurs tentatives de la part d'Imogen Kennedy et de ses associés.

Puisque Noah reste en arrière, je n'ai pas d'autre choix que de l'imiter. Il tend l'oreille pour s'assurer que les investisseurs ont bien traversé la nef avant de changer d'attitude. Maintenant que nous sommes seuls dans la sacristie, il peut enfin relâcher son sourire hypocrite.

—    Quelle bande d'abrutis, dit-il en serrant les dents. Ils se croient vraiment supérieurs au reste de l'humanité. J'aurais presque pitié s'ils n'étaient pas aussi condescendants avec moi. Tu as remarqué qu'ils faisaient exprès de me tutoyer et de m'appeler par mon prénom, toi aussi ?

Il se tourne vers moi avant de lâcher un petit rire.

—    Ah c'est vrai, tu ne peux pas parler sans mon autorisation. Je dois dire que c'est très étrange, j'ai l'impression d'avoir un automate avec moi. J'imagine que ce n'est pas non plus une partie de plaisir pour toi. Mais rassure-toi, ton calvaire ne va plus durer bien longtemps. On est sur le point d'entrer dans le dernier acte.

Sur ces mots, Noah s'approche du grand buffet sur lequel ont été exposées des reliques chrétiennes. Pendant un bref instant, je crois entendre une sorte de grincement au-dessus de ma tête, mais c'est si furtif que j'en viens à me demander si je ne l'ai pas imaginé. En tout cas, Noah ne semble rien remarquer. Il fouille dans le tiroir le plus à gauche et attrape un pistolet au canon de la même couleur que le chrome. Lorsque mon regard se pose sur l'arme à feu, mon cœur ne tarde pas à s'emballer. J'ignore totalement ce que mon ravisseur s'apprête à faire, et si j'avais dû émettre une hypothèse, elle aurait forcément été erronée. Noah réduit la distance entre nous, puis il saisit ma main pour y placer le pistolet.

—    Les instructions sont déjà prêtes à l'envoi, dit-il en brandissant son téléphone. Tu vas faire semblant de me voler mon arme, puis tu vas créer un mouvement de foule en tirant plusieurs coups de feu.  Si tu peux blesser ou éliminer quelques personnes au passage, ce serait un plus.

À chaque seconde qui s'écoule, les yeux deviennent de plus en plus étincelants, comme s'il était un enfant sur le point de déballer ses cadeaux le matin de Noël. Il commence à agiter ses mains dans tous les sens et j'ai le sentiment qu'il en train de visualiser le carnage à venir.

—    Tout le monde se met à fuir dans tous les sens, poursuit-il. C'est le chaos absolu. Et c'est à ce moment-là que la deuxième vague d'instructions sera transférée. « Votre vie est menacée. Tous les habitants de Providence veulent votre mort. Le seul moyen de survivre, c'est de les tuer en premier ».

Je sens les extrémités de mon corps refroidir face à la scène qui m'est décrite. Et au-delà de cela, je suis également terrifiée par le comportement de Noah, par la façon dont il se délecte de la souffrance qu'il a le pouvoir de causer. Il se croit différent de son père et des investisseurs, mais en réalité, ses idéaux le rendent bien plus abominable. Il n'a pas seulement l'arrogance de penser qu'il peut rendre le monde meilleur, il veut le remodeler en effaçant tout ce qui ne correspond pas à la vision qu'il s'est créée. Et il est persuadé que personne ne pourra se dresser en travers de son chemin. Il n'y a qu'à voir la manière dont il m'a donné une arme sans même sourciller, ou encore la manière dont il a rejoint Providence en tant que résident afin d'être aux premières loges pour admirer les effets de sa vengeance.

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