Les marionnettes

Chapitre 19 : Plan d'évasion

Le quotidien en tant qu'Imogen Kennedy devient à la fois plus évident et plus compliqué. Il n'y a rien de plus épuisant que de devoir prétendre être quelqu'un d'autre dès que vous n'êtes pas seule. Mais mes réactions deviennent presque instinctives maintenant que j'ai cerné ce que tout le monde attend d'Imogen. Je sais que je dois décider ce que notre groupe d'amis doit faire si nous sortons après les cours, je dois choisir quel film regarder lorsque Jason m'invite chez lui un vendredi soir, et je ne dois jamais rien céder lorsque quelqu'un n'a pas le même avis que moi. J'ai beau ne pas savoir exactement qui j'étais avant que ce cauchemar débute, j'ai la certitude que ce n'était pas ce genre de personne. Pour être honnête, j'aurais sûrement détesté Imogen si je l'avais rencontrée. Le plus tôt je pourrai arrêter de faire semblant, le mieux ce sera.

À ce propos, le moment est venu d'élaborer un plan d'évasion avec Logan. Cette fois, Laura se joint à nous car son opinion sera essentielle pour évaluer la viabilité du projet. Nous ne devons pas baisser notre garde, mais j'estime que ma mère fictive a su gagner notre confiance. C'est grâce à son intervention que nous avons pu en apprendre autant sur Providence, y compris le trajet emprunté par les sbires du marionnettiste. Elle a déjà eu de nombreuses occasions de nous dénoncer, mais elle continue de vouloir nous aider. Et quelque chose me dit que son aide ne sera pas de trop lors de la mise en œuvre du plan.

En début d'après-midi, Laura prétend devoir m'emmener acheter un manuel scolaire que j'ai égaré plus tôt dans la semaine. Grâce à cette excuse, Joseph n'émet pas la moindre objection. Les études passent avant tout à Providence, après tout. Nous nous rendons rapidement à la librairie non loin de la grand-place, puis au lieu de rentrer directement, nous bifurquons vers les rues bordées par la forêt, en périphérie de la ville. En surface, on pourrait penser qu'il s'agit d'un quartier résidentiel identique à celui des Kennedy, mais en réalité, ces maisons sont encore inoccupées. C'est ici que Logan a notamment pu dénicher la plupart des objets qu'il cache dans son coffret en bois.

Après avoir vérifié pour la énième fois que personne ne nous suivait, Laura et moi avançons en direction de la troisième maison sur la droite. Un petit chemin relie l'allée du garage au jardin. À partir de là, nous passons par une petite porte déjà ouverte sur le côté. Logan se trouve déjà à l'intérieur de la maison éclairée exclusivement par les rayons du soleil. Nous le trouvons assis en tailleur sur le tapis à poil long du salon, les yeux rivés sur le sol. Ou plutôt, les yeux rivés sur les objets qu'il a placés devant lui.

—    Je me suis permis de commencer sans vous, dit-il sans même tourner la tête vers nous.

Deux pas en avant me permettent de mieux voir ce dont il parle. Au premier abord, l'assemblage d'objets ne ressemble pas à grand-chose, mais je comprends rapidement ce qu'ils sont censés représenter.

—    Une carte de Providence ? deviné-je.

—    Ce sera plus simple pour visualiser la route qu'on doit emprunter, répond Logan. Imaginez que les bords du tapis sont le mur qui fait le tour de l'île. Le parquet, c'est l'eau que nous allons devoir traverser. Les points les plus importants sont marqués par tout ce que j'ai pu trouver dans le salon.

À côté de moi, Laura s'accroupit pour observer la carte éphémère de plus près.

—    Alors, on doit rejoindre cette partie de la forêt ? confirme-t-elle en regardant Logan. Et de l'autre côté du mur, c'est là où le ferry accoste.

—    On va pouvoir passer par l'ouverture qui se forme dans le mur quand quelqu'un de l'extérieur entre à Providence. Si on se cache dans des buissons à proximité, ça devrait être plutôt simple. Imogen m'a dit que vous aviez déjà piloté le bateau entre le quartier général et Providence à plusieurs reprises, mais que vous n'étiez jamais entré sur l'île.