Chapitre 35 : La liberté

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Tout est prêt pour le grand départ. Atteindre la côte la plus proche ne devrait pas nous prendre bien longtemps, mais nous avons tout de même rassemblé suffisamment de provisions pour tenir une bonne semaine. Lorsque le moment arrive, personne ne se fait prier pour monter à bord du ferry. Les cinquante-trois adolescents de Providence forment une parfaite file indienne le long du ponton afin d'embarquer dans les plus brefs délais. Mateo, Andrea et moi fermons la marche. J'ai la forte impression d'être monitrice d'un camp de vacances lorsque nous comptons une dernière fois toutes les personnes présentes. Avec toutes les personnes que nous avons dû assommer pour atteindre notre but, on n'est jamais trop prudents.

Le bateau a beau être grand, nous sommes presque aussi serrés que des sardines une fois que tout le monde se trouve à bord. Comme convenu, nous voulons profiter de nos derniers instants sur cette maudite île pour adresser quelques paroles rassurantes à nos compagnons d'infortune. Lorsque l'idée a été proposée, je me suis immédiatement portée volontaire, non pas parce que je suis à l'aise avec la prise de parole en public, mais plutôt parce qu'il me semblait important de marquer la fin de notre captivité. D'une certaine mesure, ça m'aidera peut-être à tourner la page plus rapidement, ou tout du moins à dessiner une ligne de démarcation entre ce cauchemar et l'avenir que nous allons pouvoir construire. Je me faufile entre les corps afin de faire face aux rescapés.

— Je sais qu'on a tous hâte de partir d'ici, commencé-je assez fort pour être entendue de tous. Mais si vous êtes comme moi, les émotions ne doivent pas s'arrêter là. Je ne connais pas chacune de vos histoires, mais il y a une chose dont je suis certaine : la vie s'est montrée cruelle avec vous. Avec nous. L'idée de retourner dans un monde aussi impitoyable peut être effrayant...

Quelques membres du groupe baissent les yeux, venant ainsi confirmer ce que j'avance.

— Nous allons tous suivre des chemins différents, continué-je. Une fois que nous aurons atteint notre destination, ce sera le moment des adieux. Mais après tout ce que nous avons traversé ensemble, sachez qu'une partie de moi sera toujours là pour vous encourager. Nous nous sommes battus bec et ongles pour obtenir cette seconde chance, maintenant tout ce qu'il nous reste à faire, c'est d'en profiter au maximum.

Mon regard croise celui de Mateo. Ses mots résonnent en moi depuis l'autre jour, et bien qu'il soit encore difficile de visualiser un avenir radieux, je suis déterminée à ne pas abandonner. Ce dernier hoche la tête, comme s'il savait précisément ce qui venait de me traverser l'esprit. C'est à ce moment qu'Andrea me rejoint à l'extrémité du ferry pour partager la dernière information que nous avons à leur transmettre.

— Et comme nous allons tous repartir de zéro... dit-elle avec un sourire en coin. Nous avons pris la liberté de « demander » une sorte de compensation financière aux investisseurs de Providence. Évidemment, ils ont accepté de bon cœur de nous fournir l'accès à leurs divers comptes en banque. Nous allons donc chacun recevoir une somme d'argent qui nous permettra de commencer à construire une vie digne de ce nom.

Sans surprise, tout le monde est ravi d'apprendre la nouvelle. Comme je l'ai dit, ce nouveau départ sera loin d'être évident, alors si nous pouvons ne serait-ce que soulager le poids qui se trouve sur leurs épaules, c'est déjà un grand pas en avant. À eux d'en faire bon usage, désormais.

Nous ne perdons pas une seconde de plus. Grâce aux leçons théoriques de Laura, nous larguons enfin les amarres. En quelques minutes, l'île qui abrite la ville de Providence devient un point de plus en plus petit à l'horizon. Je me retrouve fascinée par cette vue. Cet endroit qui m'a causé tant de souffrances est sur le point de disparaître et je ne veux surtout pas rater ça. Évidemment, je suis consciente que l'île continuera d'exister, même quand elle ne sera plus visible, mais j'ai tout de même l'impression qu'une douleur lancinante vient d'être apaisée. Le cerveau fonctionne parfois de manière bien étrange.

Les marionnettesWhere stories live. Discover now