Chapitre 4 : Défaillance

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L'heure durant laquelle j'étais censée avoir un peu de répit ne commence pas comme prévu. Louise et moi nous sommes installées l'une à côté de l'autre dans le fond de la salle. Ma supposée amie commence à me parler des dernières rumeurs qui circulent au lycée, mais je ne l'écoute que d'une oreille. Notre professeur d'Histoire entre dans la pièce, une sacoche suspendue à l'épaule, et je tombe presque de mon siège lorsque mon regard croise le sien. Il s'agit de l'homme qui lisait son journal à la table de la cuisine ce matin, autrement dit le père d'Imogen. Ou mon père. Je ne suis plus sûre de ce que je dois croire.

— Imogen, tu m'écoutes ? demande Louise face à mon moment d'inattention.

— Oui bien sûr, mens-je. C'est vraiment dingue, j'ai du mal à y croire.

— Et pourtant c'est la vérité ! Enfin, selon Eden, qui a eu l'info en discutant avec Iris. Apparemment, c'est son cousin qui a...

Je continue de hocher la tête comme si son histoire m'intéressait, mais mon attention est rivée sur l'homme qui dépose ses affaires à son bureau avant de commencer son cours. C'est une drôle de coïncidence qu'il enseigne l'un des cours de sa fille, non ? Ou alors, je deviens un peu trop parano et il s'agit seulement de l'effet « petite ville ». J'écoute la fin des ragots de Louise pour m'assurer de ne pas manquer une information cruciale. Je doute que l'histoire de la brassière de sport volée dans les vestiaires des filles m'aide à découvrir ce qui se passe autour de moi, mais je fais avec les moyens du bord.

— Bonjour tout le monde, dit le père d'Imogen une fois que la classe est suffisamment calme. J'espère que vous avez passé un bon week-end et que vous êtes prêts pour cette nouvelle semaine. Ouvrez vos manuels à la page 124, nous allons reprendre là où nous nous étions arrêtés la dernière fois.

Durant les dix premières minutes de cours, je pourrais jurer que le regard de Joseph Kennedy croise le mien à plusieurs reprises. Dès qu'il remarque que mes yeux sont levés vers lui, il se tourne instantanément vers quelqu'un d'autre. Imogen lui a probablement demandé de ne pas l'embarrasser devant ses camarades en leur rappelant fréquemment qu'ils partagent le même sang. La simple idée que je pourrais faire partie d'une relation père/fille aussi ordinaire parvient à me troubler. Encore quelque chose qui ne colle pas avec cette vie dans laquelle je me suis réveillée.

Les élèves autour de moi restent relativement attentifs tandis que M. Kennedy circule entre les pupitres, son propre manuel d'Histoire à la main. Un peu avant la moitié de l'heure, notre enseignant nous distribue une fiche de questions à remplir en binôme à l'aide des documents sous nos yeux. J'ai à peine le temps de lever la tête avant que Louise ne fasse glisser sa chaise et son pupitre pour se rapprocher de moi.

— Je compte sur toi, me dit-elle par-dessus le raclement des sièges un peu partout. Tu es bien plus douée en Histoire que moi.

L'espace d'un instant, je suis envahie par la panique. Si je ne parviens pas à répondre aux questions avec aisance, mon amie pourrait se douter que quelque chose ne tourne pas rond chez moi. Je regarde discrètement les autres binômes, mais ils sont tous trop loin pour que je puisse entendre les réponses qu'ils comptent inscrire sur leurs feuilles. Mis à part un peut-être. Je peux entendre une voix familière discuter avec son partenaire juste derrière nous. Je m'apprête à me tourner lorsque Louise agite sa main devant mes yeux.

— Quoi ? demandé-je en me reconcentrant sur ma voisine.

— C'est à toi qu'il faut demander ça, rétorque Louise avec un petit rire. Tu n'arrêtes pas de te perdre dans tes pensées depuis ce matin.

Je dois sans doute lui lancer un regard noir digne de la méchante Imogen puisqu'elle détourne immédiatement le regard, comme si les petits dessins sur la table étaient devenus très intéressants d'un seul coup.

Les marionnettesHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin