Les marionnettes

Chapitre 34 : Préparatifs

MATEO

Notre travail n'est pas encore terminé. Battre le marionnettiste à son propre jeu n'était que la première étape. Une fois que le chaos à l'extérieur s'estompe et que les rues sont suffisamment dégagées, nous devons mettre la main sur les investisseurs avant qu'ils ne se décident à tenter un repli. Nous n'avons pas de grandes difficultés à les convaincre de nous suivre. Les armes du shérif sont plutôt persuasives. Avec un plaisir non dissimulé, Eden les enferme dans les diverses pièces sécurisées du poste de police. Je devrais commencer à utiliser son véritable prénom maintenant que son homonyme se trouve parmi nous. C'est donc Andrea qui se charge des prisonniers. Elle confisque les effets personnels qu'ils ont été autorisés à ramener sur l'île, puis s'assure qu'ils ne puissent pas communiquer entre eux. Noah Dunbar a le droit à une place de choix : l'unique cellule du poste. Rien que le meilleur pour le pire des enfoirés.

Pour la suite, nous ne perdons pas de temps. Le soir même, j'envoie un message d'alerte sur le téléphone du marionnettiste, demandant tous les renforts disponibles suite à une explosion sur la grand-place. La poignée de sbires qui se trouvait encore de l'autre côté de l'océan rapplique à une vitesse phénoménale. Ils mériteraient tous le titre d'employé du mois si leur direction était encore en état de décerner des prix. Nous les attendons derrière la muraille, nos armes pointées vers l'arrière de leurs crânes, comme les parfaits criminels que nous sommes. Étant donné qu'ils sont plus nombreux que nous, j'insiste pour que nous redoublions de prudence. Pour ne pas leur donner l'occasion de tenter quoi que ce soit de stupide, nous leur donnons le même sédatif dont je me suis servi sur Jason Redgrave. Les hommes en noir tombent dans les bras de Morphée en moins de temps qu'il ne faut pour dire « Va te faire foutre, Providence ».

Moins de quarante-huit heures plus tard, les effets du produit permettant d'assurer la servilité des marionnettes se dissipent. De la même manière que ma sœur fictive, tous les adolescents de Providence retrouvent leurs souvenirs au cours de la nuit. Adieu les fausses identités et les faux souvenirs, la cage dans laquelle ils se trouvaient est enfin ouverte. Afin de simplifier les choses, nous nous inspirons de nos gardiens de prison : une réunion en présence de toutes les marionnettes libérées est organisée dans l'église. Naturellement, chacun d'eux a un paquet de questions. Nous faisons de notre mieux pour y répondre à tour de rôle tout en se montrant rassurants. Le plus difficile est déjà passé. D'ici quelques jours, nous pourrons quitter cette ville tous ensemble. Il ne reste plus que quelques détails à régler.

Tout le monde semble d'accord avec notre plan, la plupart souhaite même nous aider. Mais juste par acquit de conscience, nous ne quittons jamais le téléphone de Noah des yeux. Cette nouvelle manière de s'évader nous oblige à collaborer, mais cela ne signifie pas qu'on doit accorder une confiance aveugle pour autant. Même Imogen est de cet avis. Non, son nom est Juliet, pas Imogen. Tous ces changements de nom sont assez perturbants, mais j'imagine que c'est la même galère pour tous les habitants de Providence. Pour eux, je ne suis pas non plus Mateo, mais Logan. À vrai dire, j'ai parfois moi aussi l'impression de porter ces deux identités. Jouer un rôle pendant aussi longtemps laisse nécessairement des traces. Une partie de moi aura à tout jamais été changée par Logan Dunbar. Mais tant que je ne me mets pas en tête de construire une fausse ville pour emprisonner un groupe d'adolescents, on va estimer que je m'en tire à bon compte.

Tandis que les autres détenus ont été sevrés, les adultes ont eu le droit à une autre dose le jour de la messe. Il n'aurait pas été envisageable de couper leurs ficelles, car ils s'en seraient pris à nous à la seconde où ils auraient récupéré leur libre arbitre. Et ce n'est pas comme s'ils méritaient qu'on leur tende la main. Après ce qu'ils nous ont fait subir, c'est tout autre chose qu'ils méritent. Et notre nouveau plan est là pour s'assurer qu'ils l'obtiennent.