Chapitre 21 : Après

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C'est au moment où je me retrouve seul avec Noah que je me rends compte que je l'ai à peine croisé cette semaine. Nous faisons le trajet à pied jusqu'au lycée presque tous les matins, mais il reste toujours dans son monde, son casque audio sur les oreilles. Notre dernière réelle conversation était dans la cuisine, quand Noah m'a confié son mal-être vis-à-vis des autres lycéens de Providence. J'avais l'intention d'aborder à nouveau le sujet avec lui, mais je dois admettre que j'ai été très préoccupée avec les préparatifs pour la grande évasion et la lettre de Mateo. Mais maintenant que je dois me faire à l'idée que nous allons devoir abandonner les autres prisonniers à leur sort, je me sens obligée de dire quelque chose.

Un après-midi, une fois les cours terminés, je profite du chemin du retour pour interpeller le frère d'Imogen. Le regard qu'il me lance en mettant son Walkman sur pause laisse entendre qu'il ne s'attendait pas à ce que je vienne perturber notre routine bien huilée. Je dois faire attention à ne pas avoir un comportement trop différent de celui d'Imogen, une tâche qui s'avère particulièrement complexe. Faire preuve de compassion et imiter une personne sans cœur ne sont pas vraiment les actions les plus compatibles, mais je suis prête à essayer.

—    Je ne t'ai pas vu à la cafétéria ce midi, dis-je pour lancer la conversation. Tu as mangé dehors ?

—    Non, euh, je... Je m'installe dans la salle d'arts plastiques pendant la pause-déjeuner. Je ne supporte plus tous les regards qu'on me lance parce que je mange seul. Au moins, comme ça j'évite de passer pour une bête de foire.

Le regard de Noah ne croise pas le mien lorsqu'il formule sa réponse. Je ne sais pas si c'est parce qu'il a honte ou pour une autre raison. Ce qui est sûr, c'est que je ressens un pincement au cœur. Je ne devrais peut-être pas être aussi affectée par le sort d'un inconnu qui possède des souvenirs factices, mais je ne peux pas fermer les yeux face à la souffrance d'un autre être humain, surtout pas quelqu'un qui me rappelle mon petit frère.

—    Tu sais, dis-je, tu pourrais venir manger avec nous. Enfin, si tu veux de la compagnie. Tu n'aurais même pas à participer à la conversation. Personne ne te dira quoi que ce soit si tu es à notre table.

Cette proposition est l'équivalent d'un coup d'épée dans l'eau. Si tout se passe comme prévu, je ne serai plus là d'ici quelques jours. Mais si Noah se rapproche d'Eden et Jason, ils pourraient s'entraider et trouver le moyen d'affronter les problèmes qui les attendront après notre évasion. J'ai encore l'espoir de pouvoir les aider à mon tour une fois à l'extérieur de Providence, mais je dois garder à l'esprit qu'il s'agit probablement d'une vision utopique créée de toutes pièces pour apaiser mon sentiment de culpabilité. Est-ce si différent de ce que Laura tente de faire, au final ?

—    Je... hésite Noah comme si mon offre l'avait décontenancé. Je vais y réfléchir. Merci.

Le silence reprend de plus belle entre nous, tel un compagnon de marche. Mais cette fois, il ne s'accompagne pas d'un malaise palpable. En à peine quelques mètres, c'est comme s'il n'y avait plus autant de tension dans les muscles de Noah, et je crois même entrevoir un sourire sur son visage. Il parvient à le dissimuler avant de se tourner à nouveau vers moi.

—    Qu'est-ce que tu comptes faire une fois que tu seras partie d'ici ? demande-t-il.

Sa question me prend de court. Et, l'espace d'un instant, j'ai l'impression que mon cœur s'arrête. Mais Noah ne fait pas référence à mon évasion, seulement aux projets qu'Imogen pourrait concrétiser une fois son diplôme en poche. Il fait référence à un avenir qui ne pourra jamais exister. Lorsque la surprise se dissipe, je sens quelque chose se former dans un coin de mon esprit. Comme une sorte de bourdonnement.

Les marionnettesWhere stories live. Discover now