Chapitre 9 : C'est toi

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Il n'y a plus de temps à perdre. Je dois trouver un moyen de découvrir l'identité de l'autre personne qui prétend ne pas être sous le contrôle de Providence. C'est la seule piste que j'ai. Même si c'est risqué, ça n'en reste pas moins un moyen d'arriver à mes fins. Avant, j'étais purement et simplement guidée par mon instinct de survie, mais maintenant mes motivations ont évolué. Si je parviens à m'échapper, je serai libre de chercher mon petit frère. Je me souviens si clairement de lui que j'en viens à me demander comment j'ai pu l'oublier. Le son de son rire, sa passion pour l'astronomie, sa peur du noir. Je revois clairement les petites étoiles fluorescentes que j'avais accrochées au plafond de sa chambre pour le rassurer. Ma mémoire est toujours plongée dans le brouillard, mais une chose est claire... Peu importe si je dois remuer ciel et terre pour le retrouver, mon cœur me répète que je suis prête à tout.

En rentrant de ma journée de cours, je suis décidée à monter dans la chambre d'Imogen afin d'analyser à nouveau le morceau de papier. Il est peu probable que je sois passée à côté d'un indice, mais je veux me raccrocher à la possibilité aussi longtemps que possible. Alors que je referme la porte d'entrée, je remarque que M. Kennedy est déjà rentré du lycée. Je peux le voir installé sur le canapé en cuir marron, une pile de feuilles juchée sur ses genoux. En m'entendant arriver, il tend le cou pour mieux me saluer.

— Salut ma puce, dit-il d'un ton un peu incertain. Tu as passé une bonne journée ?

— Mon interro de maths était un peu compliquée, mais je crois que je m'en suis plutôt bien tirée. Et toi ? Des ragots croustillants dans la salle des profs ?

M. Kennedy a l'air un peu embarrassé face à ma question, ce qui me laisse penser qu'Imogen et lui n'avaient pas l'habitude de discuter d'autre chose que de résultats scolaires. Il finit tout de même par m'adresser un sourire hésitant.

— J'invoque le cinquième amendement, dit-il. Ce qui se dit dans la salle des profs reste dans la salle des profs.

— Ça veut dire qu'il se passe des choses aussi dingues qu'à Las Vegas ?

— Oh, bien entendu. L'autre jour, Mme. Hudson a utilisé un feutre bleu pour corriger des copies. C'était incroyable.

À cause de son expression constamment sérieuse, il me faut un instant pour comprendre qu'il essaye de plaisanter avec moi. Je laisse échapper un petit rire qui semble lui faire plaisir quand, tout à coup, j'ai comme un déclic. Il est en train de corriger des copies d'élèves. Les devoirs d'histoire que nous avons dû rendre il y a quelques jours, rédigés à la main. Le père d'Imogen a entre ses mains des échantillons de l'écriture des élèves de Providence.

— Je comptais me faire un thé avant de monter réviser, dis-je. Tu en veux un ?

Comme je l'espérais, M. Kennedy se dévoue pour aller faire chauffer l'eau, me donnant ainsi plus de temps pour étudier. Il se lève du canapé et rejoint la cuisine dans la foulée. J'en profite alors pour regarder les copies de plus près. J'ignore si toutes ses classes ont effectué ce devoir, mais ça n'a pas d'importance. Si aucune écriture ne correspond à celle du message, je pourrai au moins réduire la liste de suspects.

Je feuillette la pile en vitesse. Un seul coup d'œil me permet de déterminer si la personne à l'origine du devoir pourrait être celle que je cherche. J'ai lu le mot tellement de fois que chaque coup de stylo est gravé dans mon esprit. Il est possible que l'auteur du message ait volontairement modifié son écriture, mais certains signes distinctifs ne disparaissent jamais complètement. La façon d'appuyer sur le papier, des lettres un peu plus arrondies que les autres, ou encore une ponctuation légèrement en décalage.

Je m'arrête net. La huitième copie de la pile attire particulièrement mon attention. En quelques secondes, je peux déterminer la présence des fameux signes distinctifs. L'écriture correspond à celle du message.

Ça y est, je le tiens.


Le moment opportun ne tarde pas à arriver. Dès le lendemain, à l'heure du déjeuner, je prétends devoir terminer une dissertation en urgence à la bibliothèque. Ce n'est qu'un mensonge partiel car je me dirige bien au deuxième étage, dans la petite salle presque vide qui contient la collection de livres du lycée de Providence. Une femme d'une quarantaine d'années est perchée sur une chaise haute derrière un petit bureau. La bibliothécaire ne m'adresse pas le moindre regard, trop absorbée par son sandwich coupé en triangle et le livre ouvert sur ses genoux. À part elle, il n'y a qu'un seul élève au fond de la pièce.

Je m'installe à la même table ronde que Logan Dunbar, venant interrompre sa lecture. Il m'observe d'un regard curieux, mais pas nécessairement surpris. Cela ne fait que me conforter dans ma théorie. Je tente de garder une expression neutre.

— Je sais que c'est toi qui m'as laissé un mot dans ma poche, dis-je sans préambule. J'aimerais savoir ce que ça veut dire.

Je reste vague pour ne pas trahir mes pensées. J'y ai longuement réfléchi et je ne peux pas me permettre de risquer de tomber en plein dans un piège. Ce sera à Logan d'abattre ses cartes en premier. Je m'attends à ce qu'il nie ou qu'il garde le silence, mais le frère d'Eden se contente d'esquisser un sourire furtif.

— C'était plutôt rapide, dit-il presque comme un compliment. Très bien. La pause déjeuner se termine dans moins d'une heure. On va devoir faire vite.

— Qu'est-ce que veut dire le message ? répété-je.

— Pas ici. Suis-moi.

Dans la foulée, Logan se lève de son siège et avance vers la porte. J'hésite un instant, mais je finis par lui emboîter le pas. S'il s'agit bien d'un guet-apens, je pourrai encore feindre l'ignorance. De toute manière, je ne peux plus reculer maintenant, alors que de potentielles explications sont à portée de main.

Je suis Logan le long du couloir, puis à travers la cour extérieure de l'école. Il finit par s'arrêter près d'un terrain de sport désert. Après avoir observé les alentours durant quelques secondes, il se tourne vers moi. Je ne parviens pas vraiment à déceler ce qui se passe sur son visage.

— Tu es venue me confronter sans donner de détails, observe-t-il. C'est prudent de ta part. Tu as l'air d'avoir vite compris comment survivre ici, malgré les quelques pépins du premier jour.

Je choisis de rester muette car je remarque qu'il ne se mouille pas vraiment non plus avec le choix de ses mots.

— J'ai pris un gros risque en te laissant ce mot, poursuit-il face à mon silence. C'est une bonne chose que tu te méfies, mais il va falloir que la confiance fonctionne dans les deux sens si on veut espérer accomplir quoi que ce soit.

— Et qu'est-ce qu'on pourrait accomplir tous les deux, au juste ?

— S'échapper de Providence.

C'est quand j'expire que je me rends compte que je retenais ma respiration en attendant sa réponse. Il y a une certaine part de soulagement dans ce souffle. Entendre quelqu'un prononcer ces mots après avoir passé une semaine seule avec un tel secret atténue le poids sur mes épaules. Je décide de relâcher suffisamment ma vigilance pour obtenir des réponses.

— D'accord, dis-je. J'imagine qu'on doit commencer par partager nos informations. Je ne sais même pas par où commencer. Puisqu'on ne peut pas compter sur nos souvenirs, il faudrait...

— Comment ça ? m'interrompt Logan, les sourcils froncés.

— Comme Providence a effacé notre mémoire, on ne peut s'aider que de ce qu'on a appris une fois ici.

C'est au tour de Logan de rester silencieux. Ça ne dure qu'un instant, mais j'ai l'impression que des dizaines de pensées ont déjà traversé son esprit.

— Ma mémoire n'a pas été effacée, finit-il par rétorquer. Je me souviens d'absolument tout.

Les marionnettesWhere stories live. Discover now