Chapitre 2 : Visions

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Je pensais être quelque peu rassurée en mettant les pieds hors de cette maison, mais je me trompais. L'extérieur est tout aussi terrifiant. Les éléments inconnus viennent de se multiplier autour de moi et je ne sais plus vraiment où donner de la tête. Je reste quelques pas derrière mon « frère » pour qu'il ne remarque pas que je n'ai pas la moindre idée du chemin à emprunter. Ça me permet également d'observer les quartiers résidentiels que nous traversons à pied. Mis à part la couleur des maisons, ils paraissent tous identiques, comme si nous étions dans une boucle sans fin.

Nous croisons une poignée d'habitants sur le trajet, mais personne ne me lance le moindre regard suspect. Une femme blonde vêtue d'une robe portefeuille m'adresse même un sourire lorsqu'elle récupère son journal dans l'allée de son garage. Apparemment, ma présence ici ne semble étrange qu'à mes yeux. Il y a de quoi devenir folle si je me laisse submerger.

—    Imogen et Noah, nous salue-t-elle, moi et le garçon à mes côtés. Ça me fait très plaisir de vous croiser. J'ai l'impression que ça fait une éternité que vous n'êtes pas passés à la maison.

—    On est très occupés grâce à ces bons vieux professeurs du lycée de Providence, répond Noah. Pas de répit pour l'avenir de la nation, Mme. Dunbar.

Je contemple leur banale conversation sans prononcer le moindre mot. Mme. Dunbar essaye de réprimer un sourire en coin face au ton sarcastique de Noah, sans grand succès.

—    C'est pour votre bien tout ça, dit-elle en pointant son journal encore enroulé vers nous. Vous verrez. Mais je ne vais pas vous retenir plus longtemps. Eden et Logan doivent déjà être arrivés à l'école. Vous devriez filer, vous aussi.

Après nous avoir fait promettre de passer le bonjour à nos parents, Mme. Dunbar rebrousse chemin vers sa porte d'entrée. Grâce à ce court échange, j'ai déjà réussi à grappiller quelques informations qui me seront sûrement utiles. Mon soi-disant frère se prénomme Noah, les enfants de Mme. Dunbar sont nos camarades de classe et la ville dans laquelle nous nous trouvons s'appelle Providence. Le nom ne m'évoque pas le moindre souvenir. C'est sans doute logique car je n'ai pas l'impression que ce soit l'une de ces villes dont vous avez déjà forcément entendu parler au moins une fois. On dirait plutôt une petite communauté où tout le monde se connaît, pour le meilleur ou pour le pire.

—    Je ne sais pas pourquoi elle fait comme si je faisais partie de votre petit groupe, marmonne Noah quelques mètres plus loin. Elle devrait un peu mieux se renseigner.

Ce que je redoutais depuis notre départ de la maison est arrivé. Mon partenaire de marche m'adresse directement la parole. Je ne vais pas pouvoir esquiver à l'aide d'un hochement de tête ou d'un sourire forcé.

—    Les parents savent rarement ce qui se passe dans la vie de leurs enfants, dis-je d'un ton neutre. Elle essayait sûrement d'être polie.

Noah s'arrête brusquement d'avancer avant de me lancer un regard curieux. L'espace d'un instant, je me demande si je n'ai pas dit quelque chose qu'il ne fallait pas, mais il finit par secouer la tête.

—    Comme tous les habitants de notre chère ville, rétorque-t-il. Tout le monde est très poli à Providence...

C'est difficile de ne pas remarquer une nouvelle pointe de sarcasme dans ses mots. Je suis presque rassurée de constater que les apparences parfaites de cette ville n'ont pas su convaincre tous ses habitants. Presque.

Lorsque nous nous engageons pour traverser la rue, quelque chose attire mon attention sur le trottoir d'en face. Une affiche a été accrochée à la surface métallique d'un des lampadaires à l'aide de ruban adhésif. Au centre de la feuille de papier se trouve la photo en noir et blanc d'un jeune garçon au crâne rasé très court, portant le blouson d'une équipe sportive. Le bas de l'affiche indique que son nom est Charlie Foster, tandis que les lettres capitales sur la partie supérieure m'informent qu'il est porté disparu.

—    Attention, recule ! s'écrie Noah derrière moi.

J'étais tellement absorbée par la lecture de l'affiche que je n'ai pas remarqué la voiture en approche. Noah me tire par le bras pour que je m'éloigne de la chaussée. Le conducteur de la voiture fait une embardée pour s'assurer de ne pas nous heurter, puis il continue sa route jusqu'à disparaître à l'intersection suivante.

Les battements de mon cœur s'accélèrent brutalement, mais ce n'est pas uniquement à cause de cette collision évitée de justesse. J'ai la soudaine impression qu'une perceuse tente de pénétrer mon crâne. La douleur est si forte que je me vois forcée de fermer les yeux pendant de longues secondes. Des images sont projetées successivement sur mes paupières.

Du verre brisé.

Un pistolet.

Une mare de sang.

Se pourrait-il que ces flashs soient des bribes de souvenirs ? Je tente de faire abstraction de ma migraine fulgurante pour tenter d'y voir plus clair, mais les images disparaissent aussi vite qu'elles sont apparues. Ma mémoire reste un coffre-fort impénétrable. Et étant donné l'aperçu auquel je viens d'avoir droit, je ne suis plus si certaine de vouloir trouver la combinaison.

—    Ça va ? me demande Noah, les sourcils froncés. On dirait que tu as vu un fantôme.

Malgré la panique encore présente à l'intérieur de moi, je parviens à articuler que je vais bien. Je ne sais pas si je suis très convaincante, mais Noah ne semble pas sur le point d'émettre des doutes. Il réajuste la bandoulière de son sac avant de pointer l'autre côté de la rue.

—    Il faut qu'on se dépêche, dit-il. Je ne suis pas sûr que ton petit groupe puisse survivre plus de dix minutes sans leur reine.

Je me force à prendre une grande inspiration. Si je résume la situation : d'ici quelques minutes, je vais me retrouver dans un lieu rempli de monde, face à d'autres inconnus qui pensent me connaître depuis des années. Oui, il y a vraiment de quoi devenir folle.

Les marionnettesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant