Chapitre 23 : À court de temps

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Notre échéance approche à grands pas. Il reste moins de vingt-quatre heures avant l'arrivée du groupe d'investisseurs et le coup d'envoi de notre évasion. Je viens de terminer une nouvelle conversation clandestine au talkie-walkie avec Logan et il n'y a toujours rien de nouveau. La dernière messe était il y a quelques jours déjà, mais Eden n'a pas montré le moindre signe que ses souvenirs ont refait surface. Que ce soit au lycée ou à la maison, elle semble toujours jouer le rôle que Providence lui a imposé de la même manière, ce qui suggère que notre plan n'a pas fonctionné. Et si c'est le cas, alors c'est comme si nous étions toujours entre les griffes de cette ville. Sans la certitude que nos puces sont hors service, tout le reste tombe à l'eau.

De mon côté, je n'ai pas non plus constaté le moindre changement chez moi. Il n'y a eu aucun déferlement de souvenirs ni de nouveaux fragments revenant petit à petit. Rien. Mais, comme l'avait souligné Laura, ma puce ne semble pas fonctionner comme celle des autres habitants. En résumé, nous vivons au cœur d'un gigantesque point d'interrogation. Logan et moi avons décidé d'un commun accord qu'une confrontation avec Eden pourrait s'avérer nécessaire. Nous ne voulons pas révéler nos véritables intentions, au cas où elle serait toujours une marionnette, mais nous devons être fixés avant demain. Autrement, nous serons dans l'obligation de remanier et repousser notre plan. Ce sera très frustrant de devoir continuer cette comédie, mais si c'est la seule solution pour éviter un fiasco assuré, nous allons devoir prendre sur nous.

Mais retarder notre évasion ne sera pas suffisant. Nous allons également devoir trouver une solution alternative pour rompre notre lien avec Providence. Et pour le moment, personne n'a encore proposé de plan de secours. Tandis que l'après-midi arrive à son terme, je cache mon talkie-walkie dans ma poche avant de regagner le rez-de-chaussée des Kennedy. Il faut que je mette discrètement Laura au courant des dernières avancées. Ou plutôt, du manque d'avancées. Je devrais la trouver dans la cuisine en train de préparer le repas du soir à cette heure-ci.

En passant par le salon, je note que Joseph Kennedy n'est pas installé sur son fauteuil, en pleine correction de copies. Je ne l'ai d'ailleurs pas encore croisé depuis que je suis arrivée. Pourtant, il doit déjà être rentré vu l'heure qu'il est. Le père d'Imogen fait fréquemment des heures supplémentaires au lycée afin de préparer une montagne de sujets de devoirs qui auront pour but de façonner au mieux les esprits de ses étudiants et en faire des « citoyens modèles ». Mais en fin de semaine, il rentre toujours un peu plus tôt. La voiture stationnée dans l'allée du garage me confirme qu'il est quelque part dans la maison, probablement en haut. Je décide de voir cette situation comme une aubaine. Il sera plus facile de parler à Laura si personne d'autre n'est dans les parages. Noah est dans sa chambre à l'étage, et il ne devrait pas descendre avant l'heure du dîner.

Laura est bel et bien derrière les fourneaux. J'entends une casserole d'eau bouillir et le bruit d'un couteau venant rencontrer une planche en bois à intervalles réguliers. Elle ne m'entend pas approcher, trop concentrée sur la découpe de ses légumes. Je suis donc obligée de l'interpeller pour attirer son attention. Je m'attends à ce qu'elle me dise d'approcher d'un air complice tout en vérifiant que nous sommes seules, mais ce n'est pas du tout ce qui se passe. Lorsque ses yeux se posent sur moi, l'expression de Laura s'endurcit. Avant même que je ne puisse comprendre ce qui m'arrive, ma fausse mère vient agripper l'avant de mon gilet et me pousse contre le mur le plus proche. Et comme si ce n'était pas suffisant, elle place la pointe de son couteau de cuisine à quelques millimètres de mon sternum.

C'est quoi ce délire ? Sous l'effet du choc et de ma rencontre forcée avec le mur, je ne parviens pas à former le moindre mot. L'espace d'un instant, je me dis que Laura nous a finalement trahi, malgré tout ce qu'elle a fait pour gagner notre confiance. Mais je réalise rapidement qu'il s'agit d'autre chose. Le regard en face de moi semble complètement vide, complètement éteint. C'est tout ce que j'ai le temps de remarquer avant que Laura n'interrompe le fil de ma pensée.

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