Langage Floral ᵗᵃᵉᵏᵒᵒᵏ

06 | Nénuphar

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Le professeur débite un flot continue de paroles. Personne ne semble l'écouter. Sauf le premier rang, peut-être, s'ils n'ont pas encore lâchés l'affaire. Il parle beaucoup,  de tout et de rien. Et surtout de choses qui n'ont rien avoir avec le cours. Ni avec les fleurs, ni même avec les plantes. Mais il débite encore, d'une voix somnolente. Totalement soporifique. De temps en temps, il trace des formes abstraites sur le tableau, qui ne ressemblent toujours pas à un cours de botanique.

Jungkook s'ennuie et s'endort presque sur sa main, pendant que le temps semble s'être égaré dans une pause infinie. Les aiguilles sont immobiles, il ne passe pas. Et c'est long, terriblement long.

Il joue un peu avec les manches de son sweat rougeoyant. Il souffle complètement désintéressé de la vie de son professeur et se tourne pour observer ce que fait son voisin de table. Taehyung, lui, dessine encore et toujours. Il voit des choses et il en fait des croquis réalistes. Chargés d'ombres et de reflets. D'incertitudes et de regrets. Un bal tournoyant de sentiments incomplets. Il remplit de noir le papier blanc et laisse parler son esprit enchanté de nouvelles idées.

― Il est triste ton dessin.

Taehyung sursaute légèrement et se retourne. Il regarde son voisin, attentivement. Et c'est la première fois qu'il le fait aussi longtemps. Il croise son regard et se plonge dedans, entièrement. Il remarque ses traits parfaits, quasiment idylliques et le grain de beauté en dessous de sa lèvre. Ainsi que les orbes brunes, charmeuses et profondes, qui semblent cacher bien des secrets. La voix grave de Jungkook résonne encore dans ses tympans. Il est surpris. Ce son mélodieux persiste et Taehyung aime ça. Tellement qu'il aimerait pouvoir le dessiner.

Il finit par hausser les épaules comme simple réponse, bien trop coincé dans la contemplation de l'âme de son camarade.

― Tu devrais mettre des couleurs, ça serait encore plus joli.

― Peut-être.

Jungkook a l'angle d'un sourire juste au coin des lèvres. C'est la première fois qu'il entend la voix de son voisin bizarre. Elle résonne comme un songe. Il croit être en train de rêver mais il ne dort pas. Pourtant il rêve éveillé, au milieu de ce silence paisible. Taehyung reprend le dessin de son Nénuphar, sous le regard curieux de son voisin de classe. Floraison nocturne. Froide et indifférente. Reine des marécages, quelque peu despotique sur les bords. Une fleur d'allure douce qui gouverne, avec une pureté lumineuse, les ténèbres noires. Les yeux creux peuplés de visions nocturnes. Cœur de pierre imprévisible, qui s'ouvre au monde. Voilà ce qu'est réellement le nénuphar.

La sonnerie tombe en même temps que le ciel mauve. Une aquarelle pâle et morose qui se berce de mensonge. Elle joue avec le vent, cause avec les nuages. Apparence tranquille, vil euphémisme.

Jungkook se lève après avoir rangé ses affaires, souffle un vague « À demain voisin bizarre » avant de franchir le seuil de la porte. Il court à travers les couloirs, pressé, et traverse le préau. Sans faire attention aux gens, ni au monde qui l'entoure. Il court simplement comme si sa vie en dépendais.

Dehors, il rejoint son ami Hoseok, qui l'attend près de sa voiture, profitant d'une dernière latte de sa cigarette avant de jeter son cadavre sur la chaussée. Geste puéril qui fait souffrir la terre. L'indifférence de l'adolescence. Il salue son ami et monte à son tour dans la voiture. Un vrombissement retentit.

Et le sweat d'un rouge flamboyant file vers un horizon incertain. Rêvant secrètement du lendemain, d'une énième rencontre avec le destin.

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