Elle reprend.
- La première fois que j'ai travaillé dans l'aile Est, mon rôle était de donner les plateaux-repas aux détenus. Et celui de Pierre, était de les amener chez le médecin, et à la récréation. On a fait ça pendant des mois entiers.
Je hoche la tête.
- Puis un jour, Pierre a été absent, je crois qu'il était tombé malade. Elle marque une pause, et semble réfléchir.
- Naturellement, le directeur est venu vers moi pour me demander de remplacer Pierre, dans l'aile Est, puisque je travaillais déjà là-bas. Continue-t-elle.
J'acquiesce.
- Donc, ce jour-là, pour la première fois, j'ai dû amener certains détenus dans le cabinet du docteur Zaligue. Et c'est là que je l'ai vu.
Où veut-elle en venir ?
- Qui ? Demandai-je.
Je connais déjà la réponse. Alors, pourquoi je pose cette question ? Je ne sais pas.
- Mais Lorenzo, Sarah. Me dit-elle comme si c'était une évidence.
C'est vrai que c'était évident.
- Tu vas me dire, que pendant tout ce temps où tu as distribué les plateaux-repas des détenus, tu ne l'avais jamais vu ? Me repris-je.
Ment-elle ?
- Non, je ne l'avais jamais vu, je te jure ! Sa cellule a toujours été dans le noir complet ! Dit-elle en perdant patience.
- D'accord. Dis-je simplement.
Je lui laisse le bénéfice du doute.
- Tu ne comprends pas Sarah. Ce n'était pas la première fois que je le voyais. Lance-t-elle.
À cette annonce, mes sourcils se sont froncés instinctivement.
En effet, je ne comprends pas.
- Comment ça ?
- C'est ce jour-là que je l'ai reconnu. Que j'ai reconnu Lorenzo ! S'exclame-t-elle enthousiaste.
J'ai l'impression qu'elle revit la scène.
- Tu le connaissais avant ? Demandais-je perplexe.
- Oui, Lorenzo a été mon premier petit copain.
- Ton premier petit copain ? Répétai-je incrédule.
Elle acquiesce. Et continue.
- On a été ensemble des années. Du collège à la seconde, je crois. Puis, un jour, il n'a plus donné de nouvelle. Dit-elle presque triste.
- C'est quand il a été incarcéré ? Demandai-je presque empathique.
- C'est ça. On ne m'a jamais laissé le voir après cette histoire.
- Et tu vas me dire que c'était un hasard si tu travaillais dans la même prison que lui ? J'émets certains doutes ...
Je marque bien ma phrase par le passé. Elle ne travaille plus ici maintenant. Elle tique, mais ne dit rien à ce sujet.
- Je ne savais pas où on l'avait envoyé. Cette histoire d'amour remonte à des années, je n'y pensais plus ! Je n'ai pas une seule seconde imaginé que j'étais dans la même prison que lui ! Je ne savais même pas s'il était encore incarcéré ! Dit-elle sur la défensive.
Peut-être trop sur la défensive.
Est-ce que je dois la croire ? Je ne sais toujours pas.
- Et tu n'avais jamais vu son nom sur la liste des régimes alimentaires ? Je continue mon interrogatoire.
- Non, sur la liste il n'y avait que le numéro de la cellule, ou que son prénom. Répondit-elle plus calmement.
- Avec le prénom tu n'as jamais pensé que c'était lui ? Alors que tu savais qu'il avait été incarcéré ? Ou tu avais peut-être oublié son prénom ? Dis-je sarcastique.
- Non jamais je ne l'oublierai. C'était mon premier amour Sarah. Répondit-elle sérieusement.
- Et pour répondre à ta question, je n'ai jamais pensé que c'était lui, même quand il y avait écrit le prénom sur la liste. Continue-t-elle plus froidement.
- Et pourquoi ça ?
- Tout simplement, parce qu'il n'y avait pas écrit Lorenzo. Mais Angelo.
- Rien d'étonnant, c'est par ce prénom qu'on l'appelle. Il n'aime pas Lorenzo. Dis-je sûre de moi.
Avant de répondre, elle esquisse un sourire.
Quel genre de sourire ? Je ne sais pas. Je ne saurais le décrire.
- Aujourd'hui peut-être. Mais pas avant. Je l'ai toujours connu comme étant « Lorenzo », moi.
J'apprends quelque chose. Et elle le sait.
- Tu vois, tu ne sais pas tout de lui. Ajoute Milla.
Veut-elle me rendre jalouse ?
A-t-elle réussi ?
Peut-être.- C'est normal, Milla. C'est un détenu. Dis-je détachée.
Elle ne le relève pas. Et ne dit plus rien.
- Donc si je résume bien, Lorenzo a été ton premier amour, et tu l'as revu des années après, par hasard, dans cette prison ? C'est ça ? Dis-je pour reprendre le fil de notre conservation.
- C'est ça. Répète-t-elle.
- C'est tout ? Demandai-je enfin.
Elle ne semble pas comprendre le sens de ma question. Alors, je poursuis.
- Tu m'as planté un stylo dans le bras juste parce que c'était ton mec au collège Milla ?! Lançai-je indignée.
Elle pensait vraiment que cette histoire allait tout expliquer ? Que c'était une raison suffisante pour lui pardonner ? J'ai envie de rire.
- Ce n'était pas simplement mon mec du collège Sarah ! Tu n'as pas écouté ?! S'énerve-t-elle.
- C'était bien plus que ça ! C'était mon premier amour. Le seul. L'unique. Et j'étais aussi le sien. Me pique-t-elle.
Elle poursuit.
- Tu crois vraiment que l'histoire se termine là ? Si tu revoyais ton premier amour que tu n'as plus vu depuis des années, en prison, tu crois qu'il se passerait quoi ? Me demande sincèrement Milla.
Je ne sais quoi répondre.
- Je te l'ai dit. Tout a commencé ce jour-là.
- Enfin, tout a recommencé ce jour-là. Se reprit-elle.