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Aline

Nos corps se sont retrouvés, assemblés, comblés. Dès la porte de son appartement refermée, il a pris possession du mien. Je l'ai abandonné à ses mains inquisitrices. Sous la force de sa détermination, je me suis soumise à ses désirs, décuplant ainsi mon plaisir, mais rendant le retour à la réalité d'autant plus rude.

« Il faut que tu y ailles maintenant » me somme soudainement Yvan, alors que nous venons à peine de reprendre nos esprits et que mon corps est encore empreint de ses sécrétions. Étonnée, je lui demande s'il a un rendez-vous. Il prend un ton railleur pour me répondre par la négative, sans autre argument.

Je comprends alors la suite à donner. Je trouve la salle de bain pour me nettoyer de ce sentiment amer, mais la douche n'y change rien. Je récupère mes vêtements éparpillés dans l'entrée. Je suis obligée de passer devant lui pour prendre mon sac à main. Il est nonchalamment assis nu sur un fauteuil. Mon regard furieux se fixe dans le sien. J'y lis la satisfaction de l'acte accompli. Mais est-ce celui de m'avoir prise ou de m'avoir piégée ? Les deux certainement.

« Le temps n'a pas trop joué en ta défaveur » me fait-il remarquer pour mettre un terme à notre joute.

« Il n'a rien fait pour ton arrogance ! » sont les seuls mots qui me viennent à l'esprit.

C'est une piètre répartie pour un tel adversaire. De rage, je quitte l'appartement en claquant violemment la porte. Je m'en veux. Comment ai-je pu imaginer un seul instant qu'il ait pardonné ma trahison ? J'aurais dû me fier à cet instant de lucidité dans le bar.

Le vol du retour est pénible. Le temps est à l'orage. Après le retard au décollage, il faut maintenant affronter les turbulences. Ce voyage est à la hauteur de mon trouble. Comment ai-je pu tromper Arnaud avec ce prétentieux, alors que je m'étais évertuée à oublier son existence vingt ans plus tôt ? Les questions se bousculent et trouvent pour seule réponse l'humiliation. En perdant la raison, en oubliant de faire preuve de discernement, il m'a mise à nu. J'ai honte. Honte d'avoir été si facilement manipulée, honte d'avoir trahi Arnaud. Il doit certainement jubiler d'une victoire aussi facile. Il a pris sa revanche.

Tout me revient à l'esprit. Ces retrouvailles surprises l'ont été pour moi, mais certainement pas pour lui. Pas un instant, je n'ai douté de la vraisemblance de la situation, alors que nous nous sommes croisés seulement le dernier jour de son séjour, juste avant son départ, par hasard, sur des gradins de tennis à trente degrés à l'ombre, sachant qu'il ne connaissait aucun des deux joueurs. Comment ai-je pu être aveuglée à ce point ? Je ne sais pas par quel moyen il a pu être informé de notre destination de vacances, mais je suis maintenant persuadée qu'il a tout organisé. Le seul risque d'échec de son plan aurait été mon indifférence. Et là encore, son instinct manipulateur a perçu le bon moment. En me voyant minauder, au lieu d'être distante et laconique, au cours de cette rencontre inopinée pour moi, il a eu la confirmation de ma faiblesse. J'ai fait une sortie de route magistrale en perdant le contrôle de mes pensées pour ce minable.

Son bouquet de fleurs, envoyé à mon domicile avant de nous revoir, aurait dû éveiller mes soupçons. A aucun moment, je ne lui ai donné mon adresse. Ce geste a été une intrusion dans ma sphère familiale. Or, pas un instant, il n'a altéré mon désir de le rejoindre. J'ai été comme hypnotisée par ce passé redevenu présent, par cet amour de jeunesse. Je me suis laissée endormir. Heureusement, j'ai recouvré ma lucidité. Il a voulu me jeter l'opprobre, il a juste réussi à me remettre les idées en place. Non seulement, je ne veux plus le revoir, mais je ne veux plus avoir une pensée pour lui. Cette erreur monumentale m'a confirmée que j'ai épousé la bonne personne et qu'il faut absolument que je protège ce lien sacré.

Arnaud est déjà là lorsque j'arrive à la maison. Il est affalé sur le canapé et écoute de la musique. La journée a dû être difficile. En me voyant, il me tend la main pour que je m'asseye près de lui.

« Longue journée ? » me dit-il en m'entourant les épaules avec son bras.

« Oui ». Ma gorge se serre et ne m'autorise pas à prononcer un mot de plus. Pour contenir mon désarroi, je lui embrasse la bouche et me relève prestement en lui tournant le dos. Je ne veux pas qu'il voit mes yeux embués.

« Et toi ? » lui demandé-je en me dirigeant vers la cuisine.

En continuant notre conversation sur des banalités, j'ai réussi à reprendre le contrôle de mes émotions et à refouler mes souvenirs avec Yvan.

Nous nous sommes couchés et nous avons fait l'amour. En s'appropriant mon corps, mon mari m'a permis de me réapproprier ma conscience. Comme si j'avais pu appuyer sur le bouton reset de ma journée. J'ai réussi à réinitialiser mes pensées et à effacer ce moment d'égarement, me permettant de trouver le sommeil assez facilement.

Dans le tiroir de ma table de nuit, mon portable a clignoté. Il vient de réceptionner un message d'Y.Fac.

Rien ne peut m'arriverWhere stories live. Discover now