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Sybille

Marion Pelti s'est volatilisée. Personne n'y aurait porté attention si Yvan Leface n'avait pas eu la mauvaise idée de passer de vie à trépas sur le fauteuil de sa chambre d'hôtel. Les circonstances du drame ont donné lieu à l'ouverture d'une enquête. La piste criminelle a rapidement été écartée. L'autopsie a confirmé l'hypothèse du médecin légiste, venu constater le décès. La mort était naturelle, en lien avec une pathologie cardiaque.

L'équipe locale, en charge du dossier, n'a donc pas poussé l'investigation plus loin. Dans le cadre de la procédure, elle a quand même contacté le commissariat de la ville d'origine de la victime, à plus de cinq cents kilomètres de là.

Le commissaire Bellair a choisi de traiter la demande. Il a mené les recherches d'usage pour le compte de ses collègues. En allant sur le lieu de travail d'Yvan Leface, il a appris son licenciement ainsi que le départ de son assistante. Les langues se sont facilement déliées pour exprimer tout le mal qu'elles pensaient de lui et sur l'ambiguïté de la personnalité de Marion Pelti. Personne n'a été affecté à l'annonce de son décès.

Le commissaire est reparti avec une nouvelle protagoniste dans cette affaire. Sans le résultat de l'autopsie, elle aurait même été la suspecte numéro un, car sa disparition était étrange compte tenu de sa proximité avec la victime. « On n'apprend pas aux vieux singes à faire la grimace. »

Il est en fin de carrière. Il ne reconnaît plus la société pour laquelle il s'est engagé. Les codes ont changé. Plus personne ne respecte plus personne. La panoplie de policier ne fait plus peur. La violence est montée d'un cran. Les sifflements des balles perdues hantent ses cauchemars. Alors ce genre d'affaire est sa madeleine de Proust. Recueillir des témoignages. Justifier la situation de la victime. Définir le rôle des proches. Un dossier sans risque et normalement facile à boucler.

Le profil d'Yvan Leface ne l'a pas laissé indifférent. Cet homme n'a pas de famille. Cela fait écho à sa propre situation. Ses parents ont quitté la terre depuis peu et, avec les aléas de sa profession, il n'a pas réussi à construire une vie conjugale stable. Avoir des enfants l'a travaillé pendant une période et puis l'envie s'est peu à peu estompée, annihilée par les exigences de son métier. Il s'est fait à son célibat. Il n'en reste pas moins sociable. Il a besoin d'avoir une vie à côté de son travail.

C'est ainsi qu'il a rencontré une femme, il y a quelques années, une femme dont il est tombé sous le charme. C'était lors d'une soirée caritative. Elle faisait partie de l'association en charge de l'événement et l'équipe d'organisation était en manque d'effectif. Elle l'a réquisitionné pour aider à la mise en place. Il a été séduit par sa spontanéité. Ils ont fait connaissance au fil du temps. Il l'aime secrètement. Elle a délicatement, mais fermement repoussé ses avances, en lui faisant comprendre que s'il ne voulait pas briser leur relation, il ne fallait pas en attendre plus. Il a admis que c'était son destin, qu'elle ne lui appartiendrait qu'en rêve et qui sait, un jour peut-être changerait-elle d'avis.

Il se contentait donc de la voir épisodiquement, jusqu'à ce qu'elle accepte une invitation à déjeuner et qu'ils prennent l'habitude de se retrouver régulièrement au restaurant. Mais rien n'est établi. D'une part, parce qu'il a un métier prenant et d'autre part, parce qu'elle est totalement réfractaire à une quelconque routine dans leur relation.

Il accepte tout d'elle, tant qu'il peut rester en contact avec elle. Tout est prétexte à l'appeler ou lui envoyer des messages. Le hasard a voulu qu'elle soit détective privée. Un métier peu ordinaire. Or, une détective a toujours besoin de la police. Et il est la police ! Lorsqu'elle a timidement commencé à lui demander des informations, il ne s'en est pas offusqué, il a vu là, l'opportunité de tisser un lien durable. Tant pis s'il n'était que professionnel.

Rien ne peut m'arriverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant