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Aline

Je n'ai eu qu'une peur en arrivant à la maison, celle que mes clés n'ouvrent plus la porte d'entrée, mais la serrure n'a pas été changée. Le sésame a fonctionné.

Soulagée, mais épuisée, il me reste juste assez de forces pour aller allonger mon corps endolori sur le canapé, encore sous le choc de ces quarante-huit dernières heures passées. Tout paraît tellement irréel. Sans la blessure à l'arrière de mon crâne, je pourrais confondre mes souvenirs avec un mauvais rêve. Seule, chez moi, je reprends petit à petit possession de mon être.

A l'instar de Marion, j'ai quitté précipitamment la chambre d'hôtel. Je lui ai emboîté le pas, profitant de l'état second d'Yvan. J'ai rejoint la gare avec une double angoisse, celle d'être poursuivie par lui et celle de me retrouver face à elle. Heureusement, rien de tout cela ne s'est produit. De plus, le train pour me ramener chez moi s'est présenté peu de temps après mon arrivée sur le quai. Ces quelques minutes d'attentes m'ont paru une éternité. Pourtant, à y repenser, ma fuite s'est passée sans encombre. Comme si les transports en commun s'étaient synchronisés pour me faciliter mon retour au bercail et me conforter dans ma décision de réintégrer le domicile conjugal.

Arnaud a utilisé ma culpabilité pour me renier alors que lui aussi m'a trahie et sa fatuité lui a fait commettre une belle erreur. En m'abandonnant sur ce parking, il a pensé se débarrasser de moi, m'humilier en me confrontant à mon autre vie. Il a failli réussir. Dommage pour lui que j'ai eu vent de ses comptes cachés. Qu'est-ce qui est pire ? Avoir replongé dans ses amours passés, l'espace de quelques désillusions ou mettre en place un système de fraude permanent ? Avoir fait preuve de faiblesse quelques instants ou manipuler sciemment son monde depuis des années ?

Ce que j'ai toujours pris pour le socle de notre couple n'était que duperie. J'ai toujours porté aux nues cet homme pour sa bonté d'âme, alors que celle-ci n'est qu'un leurre pour mieux cacher son esprit vénal. J'ai failli mettre fin à mes jours, rongée par la honte, pour un homme m'ayant en fait choisie pour mes faiblesses. Yvan lui était fou. Fou d'amour pour moi, fou de haine contre la société, mais sincère dans sa folie. Ses sentiments étaient nobles et naïfs ! Une naïveté qui ne l'a pas quitté en se pensant Goliath face à Arnaud. Un Arnaud dont les actes ne sont dictés que par le calcul. Il m'a « sélectionnée » pour mon aveuglement à vouloir devenir quelqu'un d'autre. Ma cécité lui était indispensable pour mener à bien ses détournements de fonds en toute tranquillité. Ironie du sort, en voulant se débarrasser de moi, j'ai recouvré la vue et je ne suis pas prête à céder ma part du gâteau. La partie va être serrée. Je sais maintenant que j'ai face à moi, un expert en malveillance.

Lorsque Stanislas rentre du lycée, il est dix-sept heures trente. La journée m'a laissée le temps de redevenir présentable. J'ai pris soin de cacher ma plaie, en la recouvrant avec mes cheveux soigneusement attachés. Je veux éviter de devoir me justifier à ce sujet. Pendant mon interminable attente dans ma chambre d'hôpital, je n'ai pas répondu à ses messages. J'ai suivi la consigne d'Arnaud de ne pas l'inquiéter, donc de ne pas lui parler. Lorsque mon smartphone s'est éteint, n'ayant pas les moyens de le recharger, j'ai été soulagée. J'ai été coupée du monde. Coupée de mon fils.

Comme je le prévois, il est surpris par ma présence à la maison, si tôt en fin de journée. Je veux profiter de son trouble pour découvrir le mensonge imaginé par Arnaud, pour expliquer mon absence.

« Qu'est-ce que tu fais là, Maman ?

— Tout d'abord, bonjour mon chéri ! Et ensuite, Arnaud ne t'a pas prévenu ?

— Et bien si justement, il m'a dit que tu étais à un séminaire et comme tu avais perdu ton portable, tu n'étais pas sûre de pouvoir me joindre facilement.

— Eh bien, j'ai retrouvé mon portable et le séminaire a été annulé. Face à cet imprévu plutôt que de retourner au bureau, j'ai décidé de rentrer directement à la maison. »

Sa réaction ne se fait pas attendre, il me lance méchamment :

« Vous vous foutez de moi tous les deux ! ».

Son changement de ton me surprend.

« Houlà ! Mais qu'est-ce qu'il t'arrive ?

— Il m'arrive que j'ai passé l'âge que l'on me mène en bateau. Tu es partie il y a deux jours pour rejoindre papa et dîner avec lui. Il est rentré seul. Hier matin, je lui ai demandé où tu étais. Il m'a répondu que tu étais partie à un séminaire très tôt. Je lui ai précisé que tu ne m'avais pas prévenu et que je n'arrivais pas à te joindre et la seule excuse qu'il m'a trouvée, a été de me dire que tu avais perdu ton portable ! Vous allez divorcer, c'est ça ? »

Son attitude agressive peine à cacher sa tristesse. Il refoule ses larmes. Il reprend :

« J'ai tout fait pour me racheter de mon comportement débile et effacer ce mauvais souvenir. Et vous, la seule décision que vous prenez, c'est de divorcer ! »

Je saisis l'amalgame. Il est toujours dans la culpabilité de sa soirée malencontreuse. Il nous croit toujours figés dans ce pathétique souvenir. J'y suis pour quelque chose, ayant utilisé ce filon pour le manipuler. J'en mesure à cet instant les répercussions.

« Entends-moi bien Stanislas, effectivement, il y a comme un « Trou d'air » dans notre vie de couple, mais tu n'y es pour rien. Absolument pour rien. C'est normal que l'on ait mal vécu ton coma éthylique, mais ce que l'on a retenu de cette histoire, c'est la maturité dont tu as fait preuve pour te ressaisir et on en éprouve une énorme fierté. Donc tu n'y es pour rien concernant ce qu'il se passe entre ton père et moi. Tu sais la vie est parfois compliquée, on se laisse bercer par de belles illusions et le réveil en est d'autant plus rude, mais on ne veut pas que tu sois impacté par ce petit passage à vide. »

Une fois mon explication terminée, je reste le regard fixé sur Stan. J'espère avoir été suffisamment convaincante et l'avoir rassuré. Mon argument n'a malheureusement pas l'effet escompté. Au lieu de réagir au compliment que je viens de lui faire, il me tourne le dos et quitte le salon pour rejoindre sa chambre.

Cette conversation avec mon fils change la donne. Il pense que nous allons nous séparer. Je le croyais aussi jusqu'à ce que je découvre la vraie personnalité de son père. Je dois parler à Arnaud dès que possible, en dehors de la maison. Je veux pouvoir abattre mes cartes sans compromettre le peu d'illusions que notre fils conserve de moi. Je lui envoie un message l'intimant de me retrouver à dix-neuf heures sur le parking de l'hôpital, à sa voiture. Il ne réagit pas. Il est peut-être en intervention. J'insiste et je lui précise que « Stan sait ». Il me répond enfin « Il sait quoi ? ». Je lui retourne que je préfère lui en parler ce soir à dix-neuf heures. Il me confirme sa présence par un « OK, mais n'espère rien de moi ».

Rien ne peut m'arriverWhere stories live. Discover now