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Aline

Mon premier réflexe après mon retour à la réalité est de rallumer mon smartphone. Le silence d'Yvan est aussi obsédant que son harcèlement. Sans surprise, je n'ai aucun message de sa part. Pas plus qu'un appel d'Arnaud. Je me leurre en l'imaginant submergé par son travail.

Après être passée par la salle de bain, cette fois-ci, pour redonner à mon visage une mine convenable, je vais m'asseoir sur un fauteuil du salon. La tablette est posée sur la table basse, je la prends machinalement. Il me vient à l'idée de m'informer sur les techniques de surveillance. J'écris « Espionnage à distance » dans la barre du moteur de recherche. Je suis dirigée vers des sites de caméras espions et bien d'autres produits, dont des logiciels de surveillance de téléphones portables. Cette information retient mon attention. En l'approfondissant , j'apprends alors que l'on peut se faire pirater son téléphone, qu'il est possible de se faire siphonner toutes les informations qu'il contient. Le plus légalement du monde, des sites internet proposent des solutions d'espionnage, indétectable pour la victime. Il n'y a même plus besoin de télécharger d'application pour prendre le contrôle du téléphone de n'importe qui et voir en temps réel tous ses échanges et déplacements.

Cette piste me paraît bien plus pertinente que le piratage de mes caméras, pour comprendre le mode de surveillance d'Yvan. Quand j'ai changé de numéro, espérant lui échapper, j'étais loin de me douter que je lui enlevais son moyen d'avoir accès à toutes mes données personnelles et qu'il allait être le premier informé de la désactivation de ma ligne. Mais aujourd'hui il n'en a plus besoin, il préfère traiter directement avec Arnaud.

Ne supportant plus le poids de ce doute, je décide de retrouver mon mari pour tirer la situation au clair. Il sera l'heure du déjeuner quand j'arriverai dans son service. Je ne sais pas trop comment je vais gérer la situation, je suis juste portée par l'idée d'avancer.

Même en étant « Femme de » je reste intimidée lorsque que je pénètre dans son antre. En remontant le couloir de cardiologie, je croise une infirmière que je n'avais jamais vue auparavant. Je préfère attendre de rencontrer un visage connu pour m'enquérir de la présence d'Arnaud. Il prend les traits de l'infirmière en chef qui me salue en m'apercevant. Elle m'informe d'un air contrit de son départ inopiné. Je l'ai loupé de peu et elle n'a pas plus d'informations à me donner. Gênée par la tournure de la situation, je la remercie et repars sans demander mon reste, déstabilisée par cette absence énigmatique.

Je cherche mon téléphone dans mon sac pour l'appeler, mais après avoir fouillé, je constate que je l'ai oublié à la maison. Je pourrais remonter dans le service pour en emprunter un, mais je me sens en terrain hostile là-haut.

Avant de rejoindre ma voiture, je fais un détour sur le parking du personnel pour vérifier si la sienne y est garée. Je connais son numéro de place et je découvre qu'elle est vide. Mon Arnaud, que je croyais au-dessus de tout soupçon, a disparu. Il ne m'est jamais paru envisageable qu'il puisse lui aussi, avoir une double vie. Encore moins qu'il puisse quitter son travail en pleine journée. Le comportement ampoulé de l'infirmière est trop suspect pour qu'il ne cache pas une situation compromettante.

Le bateau prend l'eau de toutes parts. Je suis à nouveau bercée par les sirènes du désespoir. Je trouve quand même le courage de rejoindre ma voiture et de quitter l'enceinte de l'hôpital. La radio comme une alliée de ces sombres appels, passe une mélodie triste pour mieux m'attirer dans le néant. Le flot de mes larmes, seul ressac de ma détresse, m'empêche maintenant de conduire.

Je m'arrête sur le côté de la route sans trop savoir où je me trouve. Je suis perdue. Je pense alors à mes parents. Il y eut une époque où ils auraient été mon refuge. Dans un élan désespéré, je programme mon GPS pour les retrouver. Il affiche une heure cinquante-huit minutes de trajet. Je ne sais pas si j'ai vraiment envie d'atteindre ma destination. Elle me parait pourtant la seule issue. Il ne me reste plus que la fuite. J'ai visé trop haut. Je m'interdis de penser à Stan. Ma belle-famille saura l'accueillir. C'est de toute façon déjà le cas.

Je vais pour redémarrer et n'en croit pas mes yeux quand je vois Arnaud au volant de sa voiture roulant sur la voie opposée, notre fils à ses côtés. Étant un peu en contre-bas, ils ne m'ont pas remarquée. Je fais demi-tour et les suis à bonne distance. Ils se dirigent vers la maison. Au loin, je les vois rentrer dans notre lotissement. Je me gare un peu en retrait de notre portail pour les observer sans être vue. Stan descend du véhicule avec difficulté. Il prend appui sur Arnaud pour se déplacer. Il a dû se blesser. Étant injoignable, le lycée a appelé son père qui est allé le chercher.

Cette conclusion m'encourage à cesser ma planque. Je me gare à mon tour dans notre cour et me précipite dans l'entrée, laissant mes deux hommes stupéfaits par mon irruption.

« Mais, qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?

— Rien de grave, je me suis tordu la cheville en E.P.S » me répond laconiquement Stan.

Le ton d'Arnaud est bien plus agressif :

« Et toi, tu étais où ? Tu étais injoignable ! Et c'est quoi cette tête ? On dirait que tu sors de ton lit ?»

Je retiens mes larmes que je croyais pourtant taries. J'utilise le même boniment que celui fourni à mon assistante « Une indisposition passagère » m'a empêchée d'aller au travail ce matin. Je précise que j'ai quand même eu assez de force pour lui faire une visite surprise et que je ne l'ai pas trouvé. Son infirmière n'a pas pu me dire où il était et quand j'ai voulu le joindre, je me suis rendu compte que j'avais oublié mon portable à la maison.

Il peste. Il explique qu'il avait pourtant prévenu son interne. « Comme d'habitude, l'information circule mal et son infirmière a fait un excès de zèle. » Il clôt le sujet en disant qu'il a assez perdu de temps comme ça, qu'il retourne à l'hôpital. Avant de nous quitter, il nous ordonne de nous faire livrer à manger. Nous avons ordre de nous reposer.

Il m'assène sans le moindre égard, que j'ai une mine épouvantable, que c'est une évidence, je ne dois pas aller travailler. Je suis très loin du potentiel rapprochement que j'avais espéré en allant le voir. Je vais pouvoir me consoler avec la mauvaise humeur de notre fils, bloqué par sa cheville.

Rien ne peut m'arriverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant