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Sybille

Depuis notre conversation « Confession » avec ma mère, mes nuits sont mouvementées. Je dors mal. Mon sommeil est traversé de rêves réalistes. Je me réveille en sueur imprégnée d'images de mon père, d'Aline de Bret et d'Yvan Leface. Il est assis sur un fauteuil, immobile. Elle traverse un feu sans être brûlée par les flammes et mon père, pédalant sur son vélo, disparaît dans une nuit opaque. Ces images sont récurrentes lorsque j'atteins mon sommeil paradoxal. Je suis épuisée.

Mon état contrecarre mes projets. J'avais décidé de retourner travailler, de retrouver mes chères collègues, de voir ce que cela fait d'appartenir à un groupe avec le prisme de la curiosité. Or, en trouvant refuge dans de longues siestes beaucoup plus sereines, je n'ai pas vu le subterfuge m'isoler. L'insomnie s'est emparée de mes nuits et mes jours filent au gré de mes repos diurnes. Je suis loin de pouvoir reprendre une activité professionnelle. Mon moral n'en est pas pour autant affecté. Je vis cette expérience comme une nouvelle étape de ma vie. Je suis confiante.

Ma mère un peu moins. Je le comprends lorsqu'elle décide de me rapatrier chez elle. Retour à la case départ, dans ma chambre d'ado.

En levant le voile sur sa « Vraie vie » nos rapports ont pris une nouvelle tournure. Maintenant, que je connais la vérité, je peux partager son intimité. Elle ne cherche plus à m'émanciper, à m'éloigner d'elle. Au contraire, en m'hébergeant, elle semble vouloir resserrer les liens que le contexte lui avait obligé à distendre. Elle me choie, sans pour autant me ménager. Elle se montre très impliquée pour réinitialiser ma chronobiologie. Elle m'impose les instructions suivantes : « Debout : huit heures, sieste après le repas : une heure trente maximum et couchée : minuit tapante ! ».

Elle est ferme, mais enthousiaste. Rien à voir avec les heures houleuses que nous avons partagées, suite à mon hospitalisation. La situation me convient. Mon bon gros Neptune valide aussi le changement. Il a ses marques dans ce qui est pour lui un vaste territoire.

Je me laisse porter par les décisions de ma mère, ce qui ne veut pas dire que je me laisse aller pour autant. Je veux profiter pleinement de notre complicité. Et puis aussi surprenant que cela puisse paraître, même si j'ai toujours du mal à maîtriser mon sommeil, chez elle, je ne suis plus assaillie par ces rêves étranges.

Elle en vient à me dire que la vie dans mon appartement ne me convient peut-être plus et que je l'exprime au travers de mes nuits perturbées. Je fais la sourde oreille à cet argument. Je ne suis pas sûre de vouloir pérenniser mon retour chez elle. Malgré tout ce que je viens de vivre, je n'oublie pas que mon projet premier reste de trouver l'amour. Je ne suis pas persuadée que réintégrer ma chambre d'ado soit la meilleure solution pour y arriver. Et en même temps, j'ai vécu sept ans seule, sans qu'aucun représentant de la gente masculine ne passe le pas de ma porte.

Je préfère vivre au jour le jour, repoussant toute décision. Je suis choyée et mes journées sont animées par ses récits. Elle prend à cœur de me partager les filons de son métier. Je suis une auditrice attentive.

La prise de conscience de sa vraie vie m'a fait réaliser le poids que cela a dû représenter pour elle, de n'avoir jusque-là, pu la partager. Voilà bientôt quinze ans qu'elle prend des risques à l'ombre d'une petite vie bien rangée. Je suis fascinée, car si mon métier est plus que routinier, le sien est tout l'opposé. Mon incroyable mère a été capable de me persuader que sa vie était structurée par la banalité alors qu'elle est capable de hacker des ordinateurs !

La discrétion est sa signature. Elle a commencé sa carrière en traitant des affaires d'adultère et de disparition. Puis avec le temps, ces clients ont évolué et aujourd'hui, elle ne répond pratiquement plus qu'à des demandes d'entreprises. Et il y a de quoi faire, entre les salariés qui n'effectuent pas leur temps de travail, ceux qui volent du matériel ou les concurrents déloyaux.

Rien ne peut m'arriverWhere stories live. Discover now