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Sybille

Marion s'est comportée comme un chien d'attaque. Elle s'est focalisée sur sa proie et m'a laissée à l'écart de l'agression. Si tel n'avait pas été le cas, Aline de Bret n'aurait pas été la seule victime et l'humiliation pour elle aurait certainement été moins douloureuse. Je vois bien qu'elle est sonnée. Elle quitte le hall de l'immeuble sans un geste à mon égard, égale à elle-même. Je lui emboîte le pas. Je ne voudrais pas risquer de croiser Marion à nouveau. On ne sait jamais.

Je la suis discrètement. L'exercice n'est pas difficile. Elle a le nez scotché sur son smartphone. La direction qu'elle prend me fait comprendre qu'elle se dirige vers la gare, à environ un gros quart d'heure à pied, d'ici.

Presque arrivées, je reste à bonne distance lorsqu'elle s'arrête au feu rouge du passage piéton, en face du parvis. Cette halte me laisse le temps d'observer les alentours et de voir au loin, ma mère sortir du bâtiment, tirant une valise cabine à roulettes. Je ne suis vraiment pas au bout de mes surprises avec elle . Elle a la panoplie de la parfaite vacancière, alors qu'à aucun moment, elle ne m'a parlé d'un voyage. Pour je ne sais quelle raison, je me garde de l'interpeler. J'en oublie Aline de Bret et me fonds dans la foule pour aller consulter le tableau d'affichage du trafic. Il me confirme le départ pour la destination de la femme du docteur dans trois-quarts d'heure, mais il m'apprend l'arrivée d'un train en provenance de cette même ville, cinq minutes plutôt. Le flot de personnes sortant de la gare dont fait partie ma mère, descend certainement de ce train. Maman revient de chez les de Bret !

Comme je sais maintenant que les situations imprévues facilitent le déballage de la vérité, je décide d'aller chez elle par un itinéraire détourné. Je me dépêche, espérant être sur place avant elle pour profiter de l'effet de surprise.

L'arrivée se fait par une allée étroite, laissant entrevoir la façade et me permettant de constater que les volets sont toujours clos. Nous n'habitons pas le même quartier. Ce n'est pas de mon fait, mais du sien. C'est elle qui m'a poussée hors du nid. Elle a décrété un jour qu'il était temps de mettre un peu de distance entre nous, pour le bien de mon émancipation. Moi, j'étais bien dans son giron, je ne ressentais pas le besoin de quitter ma chambre d'ado. Un soir, elle m'a mise devant le fait accompli en m'informant avoir trouvé un appartement, à l'opposé de chez elle. Je n'ai donc jamais l'occasion de passer devant sa maison, à moins de le décider. Je réalise maintenant qu'elle a pu mener une vie parallèle, sans m'éveiller le moindre soupçon. Jusqu'à aujourd'hui !

Je sonne plusieurs fois. Pas de réponse. J'ai la confirmation que j'espérais, je l'ai bien devancée. En me retournant pour surveiller son arrivée, je la vois au bout du chemin esquisser un demi-tour. Certainement étonnée de me découvrir sur son perron, elle espérait peut-être m'éviter en revenant promptement sur ses pas, mais pas assez vite, j'ai eu le temps de la repérer.

Cette attitude renforce ma conviction qu'elle me cache quelque chose. Et cette fois-ci, elle ne va pas s'en tirer à si bon compte. Je cours dans sa direction pour la rattraper et en arrivant à sa hauteur, je lui dis :

« Maman, tu ne m'avais pas vue ? Tu m'évites !

— Oh ma fille ! C'était toi devant la porte ? Je ne t'avais pas reconnu de dos. Je croyais que c'était un colporteur et je n'avais pas envie de tergiverser.

— Tu tergiverses toi maintenant ? » lui rétorqué-je pour essayer de dissiper le gros malaise de son mensonge.

Elle se détend à mon trait d'humour. J'en profite pour lui prendre sa valise et retourner dans la direction de la maison. Elle me laisse faire, l'embarras est palpable. Une fois le palier de la porte d'entrée franchi, je passe à l'attaque :

« Et tu reviens d'où avec cette valise ? »

Pas de réponse. Elle va d'une pièce à l'autre, pour ouvrir les volets. Elle redonne vie à sa maison, par des gestes machinaux. Le voyageur occasionnel lui, éprouve une certaine frénésie en retrouvant son logement, comme si le fait de constater que tout était resté à sa place, validait la réussite de son voyage. Or, elle, est loin d'être habitée par cette extase du retour. J'en déduis que ce n'est pas sa première « virée » secrète.

« Maman, est-ce que tu peux me dire où tu es partie ? Et oh ! Le furet, tu arrêtes de courir ! »

Elle esquisse un sourire. Elle ne me répond pas pour autant. Son téléphone sonne dans son sac laissé dans l'entrée. Comme elle est partie poser sa valise dans sa chambre, elle ne l'entend pas. Je vais le chercher pour le lui apporter. Il affiche un numéro de portable sans le nom de son émetteur. Lorsqu'elle revient, je le lui tends. Elle me l'arrache des mains, marquant ainsi son mécontentement et stoppant l'appel.

« Je pensais te rendre service !

— Si tu veux me rendre service, ce serait bien que tu rentres chez toi ! »

La réponse est cinglante. Ma mère ne m'a jamais parlé comme ça. Je perçois bien que je l'encombre. En d'autres circonstances, je serais partie sans demander mon reste. Mais là, j'ai trop besoin de comprendre ce qu'elle me cache pour me sentir blessée par sa sommation.

« Maman, je sais que tu es allée voir le Professeur de Bret ».

Je bluffe. Je tente mon coup. Puisque j'ai une longueur d'avance autant l'utiliser. Mon affirmation la stoppe net dans son déplacement. J'ai vu juste.

« Tu me surveilles maintenant ?

— Pas du tout ! Je voudrais juste que tu m'expliques pourquoi tu le vois ? »

Après un temps d'hésitation me laissant comprendre qu'elle cherche une réponse pour se couvrir, elle me dit :

« Ce n'est pas ce que tu crois.

— Ah oui et qu'est-ce que je dois croire ?

— Ne t'alarme pas, mais je suis toujours inquiète pour ta santé. »

Je ne m'attendais pas à cette réponse, mais je ne me laisse pas démonter. Je connais mon état de santé et je sais que je vais très bien.

« Et tu as eu besoin de partir avec une valise pour te rassurer auprès de ce médecin ? »

Embarquées dans ce duel malgré nous, nous ne voulons ni l'une ni l'autre perdre la face. Par contre l'une et l'autre contrôlons notre stupéfaction de devoir affronter ces traits de nos personnalités, jusque-là méconnus. Elle, la sournoise et moi la retorse.

Elle finit par s'assoir sur son fauteuil. En se laissant lourdement tomber sur le siège, au lieu de contrôler son mouvement, elle laisse transparaitre un signe de faiblesse. Toujours au bluff :

« Quand est-ce que tu t'es rapprochée de Bret ? »

Je me pose sur le canapé en face d'elle. Je la sens prête à parler.

« Maman, je suis une adulte ! D'une manière ou d'une autre, je découvrirai la vérité, mais je préférerais que cela vienne de toi. »

La bouche pincée, le visage fermé, elle lève le regard vers moi, laissant le silence la protéger.

« Tu ne veux pas me parler ! Tu me prends pour une gamine ? Je suis trop naïve pour comprendre ce que tu trafiques avec ce toubib ? En plus, tu crois que je ne sais pas qu'il a fait disparaître Yvan Leface ! »

Bluff gagnant, elle laissa échapper « Il ne l'a pas fait disparaître ! ». La réponse est partie trop vite, elle doit s'expliquer maintenant.

Rien ne peut m'arriverWhere stories live. Discover now