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Aline

Non seulement, je n'arrive pas à retrouver le sommeil, mais en plus, j'ai perdu l'appétit. J'ai cru pouvoir le cacher à Arnaud avec nos horaires décalés. Son œil de professionnel a pourtant vite repéré ma petite mine et ma perte de poids. Ma parade a été de prétexter que l'événement du vernissage avait, contre toute attente, été un choc psychologique, que j'avais du mal à évacuer cette prise de conscience de la fragilité de la vie. Ce qui est totalement vrai. Sauf que mon angoisse n'est pas liée à la mort, mais à la vengeance d'Yvan.

Cela va bientôt faire un mois que son chantage a démarré et comme si cela ne suffisait pas, celle que je suppose être son alliée, a encore esquivé la grande faucheuse, a été opérée avec succès et est rentrée chez elle avec un cœur tout neuf et une amnésie partielle.

Je suis psychiquement à bout. Après son « Qui sera la prochaine ? », mon portable est devenu ma hantise. Je suis obligée de le laisser allumé pour mon activité professionnelle et c'est une épreuve à chaque fois que je dois le consulter. Son jeu ne consiste plus à m'envoyer ses messages certains soirs, je les reçois aléatoirement tout au long de la journée. Il utilise toujours des informations de ma vie courante pour me mettre sous pression, alors que j'ai suspendu la vidéo surveillance de la maison et que Sybille est hors d'usage. Je n'arrive pas à comprendre par quel moyen il m'espionne.

Quitte à tout perdre, j'ai décidé pour l'honneur de l'affronter en l'appelant. J'ai mis mon portable en numéro masqué. J'espère le déstabiliser quelques instants sachant qu'il saura très vite retourner la situation. Je n'ai pas trouvé sa ligne directe, je dois passer par le standard. Je demande à lui parler. On me passe son assistante « Bureau d'Yvan Leface, Marion Pelti, que puis-je pour vous ? ». Stupéfaite d'entendre ce patronyme, je raccroche. Je reste figée la main sur le téléphone.

« Pelti » correspond au nom de famille noté à plusieurs reprises, sur le papier que j'ai récupéré dans le sac de Sybille. J'ai fait des recherches sur cette liste de noms, espérant trouver un lien avec elle, mais rien. Et voilà que « Pelti » refait surface là où je ne l'attendais pas.

En rentrant dans mon bureau, mon assistante me sort de ma torpeur. Son congé maladie n'a pas duré longtemps.

A son retour, j'ai essayé de me racheter une conduite en étant la plus aimable possible. Malgré ce changement d'attitude, elle est restée sur la défensive. J'ai alors pris sur moi et lui ai exprimé mes plus plates excuses, espérant ainsi un changement radical de sa part. C'est finalement ma lente déchéance physique qui a transformé sa rancœur en mépris. A plusieurs reprises, elle m'a demandé si tout allait bien. J'ai toujours répondu par l'affirmative pour couper court. Pas dupe, son regard m'a systématiquement renvoyé « Chacune son tour ! ». Effectivement, c'est à moi de brûler en enfer après l'avoir malmenée.

Et là, je viens de recevoir un coup de massue en essayant de joindre Yvan. « Marion Pelti » est la seule de la liste sur laquelle j'ai buté. J'ai pu vérifier l'exactitude des coordonnées pour les autres noms. Son adresse à elle n'étant pas précisée et n'ayant rien trouvé d'exploitable sur internet à son sujet, elle est restée un mystère, jusqu'à ce coup de fil m'apprenant qu'elle était l'assistante d'Yvan.

Machinalement, je prends le document que ma collaboratrice me tend. Je suis tellement stupéfaite, que je ne retiens rien des informations associées à l'échange. Mon esprit est ailleurs.

Trouver le lien entre Sybille Maldère, Marion Pelti et Yvan Leface. J'ai d'emblée considéré Sybille comme la complice d'Yvan et l'autre femme m'est sortie de l'esprit. Or, elles ont toutes les deux eu un comportement décalé de ce que j'ai l'habitude d'observer pendant un vernissage. Entre les personnes qui viennent pour être vues, celles qui viennent parce que ça fait bien de dire « Y être allé », les pique-assiettes qui profitent du buffet, celles qui entrent « Parce qu'il y a de la lumière » et enfin les seuls dignes d'intérêt, nos mécènes et amateurs d'art.

Aucune des deux ne correspondait à ces profils. Elles étaient à l'affût. D'où mon intérêt pour leur présence d'ailleurs. J'ai retenu Sybille parce qu'elle habite la même ville qu'Yvan. Il ne m'est pas venu à l'esprit d'approfondir le rôle de l'autre inconnue. Et pourtant après réflexion, elle correspond bien mieux à Yvan. Je me suis focalisée sur la mauvaise personne. Il n'a pas envoyé Sybille pour m'espionner, mais Marion Pelti, son assistante. Et c'est aussi elle qui m'a appelée. J'ai reconnu sa voix. Elle avait la même tonalité autoritaire que lorsqu'elle a voulu m'intimider, pour obtenir mon numéro de portable.

Pour je ne sais quelle raison, Sybille s'est aussi intéressée à elle. Elle ne devait pas s'attendre à la voir dans la galerie et le choc de la rencontre l'a fait défaillir.

L'appel d'Arnaud interrompt mon raisonnement. Il n'a pas beaucoup de temps à me consacrer. Il veut savoir si tout va bien et me propose d'aller au restaurant ce soir pour nous permettre de partager « Un moment rien que pour nous ». De toute façon, il a déjà réservé. Il fait preuve de beaucoup d'attention à mon égard ces derniers temps, bien qu'il conserve toujours cette même distance vis-à-vis de mes pensées. Il se garde bien de m'interroger. Pour m'apporter son soutien, il préfère agir. Il comble mon temps, en nous organisant des sorties. Il m'accompagne dans mon errance en silence.

Au cours du repas, il m'annonce qu'il a eu des nouvelles de Sybille et il me propose d'aller lui rendre visite chez elle, ce week-end. La destination est sympa, elle habite à proximité de l'océan. Pourquoi pas.

Avec les éléments que je viens de comprendre, je vois Sybille sous un nouvel angle. L'idée de me trouver dans la même pièce qu'elle, avec Arnaud, ne me parait plus insurmontable. Elle pourrait même m'être un bon moyen pour en apprendre plus sur son lien avec Marion Pelti.

Je ne suis pas pour autant rassurée. Je n'oublie pas que cela signifie retourner dans la ville d'Yvan, avec le risque de le croiser, sachant qu'il sera informé de mon passage, puisqu'il sait tout.

Dans la soirée, la sonnerie de ma messagerie retentit, j'attends d'être seule pour lire le message : « Salut la frondeuse, on essaye de me joindre ? Deuxième faux pas ! Maintenant, il va falloir passer au tiroir-caisse. »


Rien ne peut m'arriverWhere stories live. Discover now