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Aline

Venant de la même ville qu'Yvan, j'en conclus que Sybille est son « œil de Moscou ». La coïncidence est trop improbable. La surprise est de taille. Cette jeune femme insignifiante, alliée d'Yvan, lui que j'ai connu si exigeant envers son entourage. Son plan doit être bien machiavélique pour s'adjoindre ses services.

Pourquoi s'est-elle écroulée à la vue de l'autre inconnue ? En l'observant juste avant sa prise en charge par le Samu l'espace d'un instant, j'ai eu le sentiment d'avoir déjà vu son visage. Lorsque j'ai replacé sa carte d'identité dans son sac, j'en ai profité pour essayer de trouver d'autres informations. Je suis tombée sur un papier plié sur lequel était noté plusieurs adresses de personnes, portant toutes, le même nom de famille et habitant la même ville, à une bonne centaine de kilomètres d'ici. Je l'ai discrètement subtilisé. J'ai aussi aperçu l'article du vernissage paru dans le quotidien local.

Depuis, même si elle est sortie de mon champ de vision elle continue de m'obséder. Arnaud m'a informée qu'elle se rétablissait plutôt bien. Je pourrais donc, sous le couvert d'une visite de courtoisie, aller la voir pour l'interroger et essayer de comprendre ses liens avec Yvan. D'ailleurs pour Arnaud, il ne fait aucun doute de ma prochaine venue dans son service et il n'hésite plus à me faire remarquer que je commence à me faire désirer. Mais je ne peux pas lui justifier que j'ai du mal à assumer l'idée de me retrouver à ses côtés, face à la complice de mon ex-amant.

L'événement médical du vernissage a fait le tour de la ville et a conforté encore un peu plus la réputation d'Arnaud. Lorsque je lui en ai fait part, sa réponse a été « Ah bon, je n'ai fait que mon travail. ». Je n'ai pas été étonnée de cette réponse. Par contre, je suis plus intriguée par l'attention particulière qu'il continue de porter à cette patiente peu ordinaire, ainsi qu'à sa mère. Je le suis d'autant plus, qu'il vient de m'informer, au cours de notre coup de fil quotidien, avoir déjeuné avec cette dernière.

Les appels de mon mari sont imprévisibles. Je sais qu'il pense à moi, mais je ne sais jamais quand. J'attends son appel. Cette règle s'est imposée tacitement.

Donc son planning d'aujourd'hui ne lui a pas permis de me joindre avant le début d'après-midi, mais lui a laissé le temps pour aller manger avec la mère de Sybille. Une telle proximité, avec un membre de la famille de l'un de ses malades, est très inhabituelle de sa part.

Ne pouvant me retenir, je lui exprime mon étonnement au sujet de cette rencontre. Sa réponse chasse toute ambiguïté.

« Je n'ai fait que mon devoir, celui de soutenir cette femme bouleversée de vivre avec son enfant ce qui a causé la mort de son mari. Et puis le fait que ce soit arrivé à la galerie pendant que j'étais là, a fait que nos échanges ont pris une tournure plus personnelle. Un sujet en amenant un autre, je lui ai proposé de terminer la conversation pendant ma pause-déjeuner. Je ne vois pas où est le mal. Je n'ai de toute façon pas à me justifier. »

Pour clore le sujet et redonner une dimension plus désinvolte à notre échange, il prend un ton mystérieux pour me dire:

« Tu ne devineras jamais l'explication à laquelle s'accroche madame Maldère pour donner un sens à la venue de sa fille dans notre ville. »

Sa remarque me met en alerte. Mon corps se raidit. « Ben non » est la seule réponse que j'arrive à articuler. L'ombre d'Yvan plane. J'essaie de me rassurer en jugeant la voix d'Arnaud bien trop enjouée pour traiter de ce sujet. Et j'ai raison.

« En fait, si Sybille est venue jusqu'à nous, c'est parce qu'elle a été poussée par une force supérieure. En allant au vernissage, je l'ai prise en charge. Elle a été conduite à son insu auprès de son sauveur ! Pas mal comme explication, non ? Je suis le bras droit des forces supérieures ! » conclut-il fier de son rôle dans cette démonstration mystique.

Et moi, au lieu de rester dans le second degré et de m'amuser de cette déduction hasardeuse, je m'emporte et ne peux m'empêcher de lui répondre :

« Alors quand je te dis que toute la ville ne parle que de ton exploit à la galerie, tu en n'as rien à faire, par contre, quand c'est cette Maldère qui te met en avant, tu la prends au sérieux ? »

Je sens la surprise à l'autre bout du fil. Moi-même, j'ai du mal à comprendre ma réaction. Enfin si, je sais pourquoi j'ai réagi excessivement. L'espace d'une seconde, j'ai cru qu'il allait m'annoncer qu'il savait pour Yvan. Par mon agressivité, j'ai relâché la tension nerveuse déclenchée par l'idée d'avoir frôlé, cet instant, où tout aurait pu basculer.

Je profite de sa réponse « Ne le prend pas mal ma chérie » pour me ressaisir et reprendre un ton plus doux :

« Désolée de m'être emportée. J'ai une journée un peu chargée et puis oui, tu es un sauveur, mais pas n'importe lequel. Tu es mon sauveur. Je ne veux pas te partager !

— Il n'en est pas question ma chérie et moi non plus je ne veux pas te partager, mais avoue quand même que ça a plus de gueule d'être un élu des dieux, que de faire partie des ragots de la ville. »

Il a raison, comme toujours. Il a su m'apaiser, comme toujours. « Je ne veux pas te partager ». Ces mots, prononcés pour me réconforter, au contraire me torpillent. Comment ai-je pu aller voir ailleurs ? Comment ai-je pu me fourvoyer à ce point ? J'ai honte. Et puis cette Sybille, bien vivante. J'aurais préféré qu'il m'annonce sa mort. Cela aurait été une épine de moins sur ma couronne. Le destin en a décidé autrement.

Par ailleurs, mes soupçons, concernant le mode de surveillance utilisé par Yvan, semblent se confirmer. Après quelques jours de répit, j'ai reçu un message de sa part. Il a réussi à obtenir mon nouveau numéro de téléphone. Fin de la trêve. Il fait référence à l'incident du vernissage. Il n'a pas traité de mon leurre, notre supposé dimanche à la campagne chez des amis. J'en ai pourtant parlé plusieurs fois devant les caméras. Une information en a chassé une autre, mais il a forcément piraté notre système de sécurité car comment autrement, aurait-il pu apprendre ce qui est arrivé, sachant Sybille hors-service pour lui en parler elle-même ?

Il a repris les hostilités avec un « Qui sera la prochaine à aller au tapis ? ».

Même si j'appréhende un peu mieux la situation, le cynisme de son message me glace le sang.

Rien ne peut m'arriverWhere stories live. Discover now