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Aline

Toujours assis à mes côtés, Arnaud fulmine. Mon aveu n'a pas apaisé son courroux. Bien au contraire les sarcasmes pleuvent. Tout y passe. L'accord tacite de notre union basé sur son statut contre ma volubilité en société. Lui avoir imposé la lie de la nature humaine. Sa dignité bafouée !

Je suis effondrée. Groggy par les médicaments, l'arrière de ma tête est douloureux. Je ne cesse de lui demander « Pardon ». Aucun autre mot ne peut sortir de ma bouche.

« Ne sois pas triste » m'assène-t-il ironiquement. Son ton est toujours contenu pour préserver la confidentialité de ses propos. Il poursuit :

« Ton amant n'a pas disparu. Il est bien vivant ! Il attend juste que je réunisse l'argent pour acheter son silence. Et il est gourmand. Après, seulement après, il disparaîtra et il a intérêt ! Mais ta trahison restera. Et le pire, c'est que je ne peux en parler à personne. Il est absolument hors de question que quiconque soit informé de cette affaire. Tu te rends compte que je ne peux même pas le dénoncer à la police ! Que pour garder mon honneur sauf, je doive me rabaisser à employer les mêmes méthodes minables ! Vous êtes tous les deux du même acabit. Et comme je vais lui acheter son silence, je vais acheter le tien ! Tu ne vaux pas mieux que lui. »

Il fait une pause et reprend sur un ton qui annonce la conclusion :

« Mais ce qui me dégoûte le plus aujourd'hui c'est de savoir, que quoi que je fasse, tu resteras la mère de mon fils... »

Il est interrompu par l'infirmière de jour. Elle a frappé à la porte et est entrée sans attendre la réponse. Elle est surprise de voir son chef, elle ne semble pas avoir été informée de sa présence. Elle s'excuse platement. « Le bon Docteur » la rassure en lui indiquant qu'il était sur le départ et qu'il compte sur elle pour bien prendre soin de moi. Il lui rappelle, en utilisant un ton amical, que je suis une patiente « spéciale », puisque j'ai seulement un pansement derrière la tête à surveiller.

Avant de quitter ma chambre, il me précise qu'ayant beaucoup de travail, il ne pourra revenir me chercher qu'en fin d'après-midi et que je ne le reverrai pas d'ici là. Il s'est aussi organisé avec Stan, je n'ai pas besoin de l'appeler, il ne sert à rien de l'inquiéter. Puis pour parfaire son rôle de mari attentionné, sous le regard de la jeune femme, il me dépose un baiser « De cinéma » sur la bouche.

Le contact de ses lèvres sur les miennes est encore plus douloureux que les huit points de suture à l'arrière de mon crâne. Je sais cet ersatz de baiser le dernier de notre vie de couple. De ma vie. Je suis anéantie. Le baiser de la mort.

Après son départ, une fois la porte refermée, je m'effondre. L'infirmière un peu surprise par ma réaction cherche les mots pour me réconforter. Elle me précise que ma blessure est peut-être douloureuse aujourd'hui, mais que tout cela va rapidement rentrer dans l'ordre et ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir. Ce qu'elle ne sait pas, c'est que rien ni personne ne pourra stopper mes larmes, car aucune pensée ne peut me laisser espérer quoi que ce soit.

J'ai une soudaine envie de vomir. C'est d'ailleurs ce que je fais dans le haricot qu'elle me présente juste à temps. Pour me rassurer, elle m'explique que mon état est lié aux effets secondaires de l'anesthésie. Je ne peux lui répondre que c'est en fait le présage de ma nouvelle vie.

La suite de la journée se déroule au rythme du va-et-vient du personnel. Mon cœur se resserre au fur et à mesure que les heures s'écoulent, appréhendant la confrontation avec mon futur ex-mari. Je ne serai bientôt plus Madame de Bret. Je vais redevenir une Jouet. Ce patronyme que j'ai fui avec tellement de véhémence, et pourtant, prémonitoire. J'ai été le jouet d'Yvan et pire, mon propre jouet. Je le comprends maintenant à mes dépens. J'ai joué et j'ai perdu !

Je m'habille avec les vêtements de rechange qu'Arnaud a eu la délicatesse de me choisir et de me rapporter. Même avec les sentiments les plus amers, il a pris le temps de me sélectionner une tenue adéquate à mon état. Chaque pensée sur lui est une torture. J'ai sciemment sabordé ce que j'avais de plus précieux. Je ne pourrais plus me réfugier auprès de sa bienveillance, je ne vais plus briller sous les feux de sa stature. Je me déteste. Je suis prête à accepter toutes les humiliations qu'il m'imposera.

En fin de journée, une infirmière me prévient de son arrivée imminente. Je suis assise dans le fauteuil lorsqu'il entre. Il prend mes affaires et me tend le bras pour me soutenir dans ce qui va être ma marche funèbre. Une fois tous les deux dans la voiture, à l'abri des regards, il redevient l'homme blessé. Plus un geste, plus un mot.

Je constate qu'il ne prend pas la direction de la maison. L'angoisse me pousse à interrompre notre silence. Je lui demande où on va. Il ne me répond pas. Il me traverse alors l'esprit qu'il va me faire disparaître. Il deviendra veuf. L'honneur sera sauf. J'approuve cette hypothèse. Pour autant, je suis terrifiée. En fait, je ne veux pas mourir. Il faut que je sorte de cette voiture, or je manque cruellement de forces. Je lui dis alors :

« Tu veux me faire disparaître, c'est ça ? »

La réponse ne se fait pas attendre. Le ton est méprisant :

« Te faire disparaître ? Ma pauvre Aline, parce que tu crois que tu existes encore pour moi ? Tu n'es plus rien depuis que cet abruti est rentré dans mon bureau. Et c'est en sortant ce genre d'inepties, que tu renforces ma décision ! Comment ma femme ? Celle en qui j'avais placé toute ma confiance et toute ma sincérité, aurait pu imaginer ne serait-ce que l'espace d'une seconde, que j'aurais pu vouloir mettre fin à ses jours ? Comment peux-tu imaginer ça ? »

Après quelques secondes, il reprend en laissant éclater sa colère :

« Je t'ai tout donné. Je pensais que tu avais compris ce qui m'importait, mais chassez le naturel, il revient au galop ! Ta prétention, ton arrivisme m'amusaient au début de notre relation. Tu étais comme un animal affamé qu'il fallait rassasier. Je t'ai tout donné naïvement. Je t'ai aimé naïvement. Aujourd'hui, je te hais sciemment. J'ai tout préparé avec mon avocat. J'espère que tu n'auras pas la vulgarité de remettre en question les modalités de notre séparation. Tu vas quitter cette ville. Stan restera avec moi. Tu le verras tous les quinze jours ou plus s'il le souhaite. Je n'ai pas l'intention de le priver de sa mère, même si elle me répugne ! »

Nous roulons depuis un moment. La pénombre apportée par la nuit tombante enveloppe notre torpeur. Nous arrivons dans une petite ville dans laquelle je n'ai jamais mis les pieds. Il s'arrête sur le parking de la gare. La zone est vaste et il choisit celle la plus éloignée des habitations, la plus sombre.

« Qu'est-ce qu'on fait ici ? »

Il répond par un soupir bruyant. Soudainement, après quelques minutes d'attente, il descend du véhicule. Il va chercher une besace dans le coffre puis il ouvre ma portière en m'intimant l'ordre de descendre. Nous sommes tous les deux au milieu de nulle part. Apparait alors une silhouette venant à notre rencontre. Arnaud fait un pas en avant. Mon cœur bat à mille à l'heure. En apercevant les traits de celui qui nous rejoint, je comprends la situation.

Yvan arrive face à nous. Goguenard. Sans un mot, Arnaud lui tend la besace. Il la récupère en souriant et l'ouvre d'un côté, pour vérifier son contenu.

Une fois la transaction effectuée, Arnaud n'attend pas son reste. Il revient sur ses pas, récupère mon sac posé sur le siège arrière, le jette à mes pieds, monte dans sa voiture, démarre et me plante là, dans ce décor sordide.

Rien ne peut m'arriverOnde histórias criam vida. Descubra agora