23 Sybille

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Sybille

Mon premier voyage avec ma mère depuis bien longtemps. Nous sommes à la fois, très proches et très distantes l'une de l'autre. Nos vies de célibataires auraient pu nous faciliter des activités en commun, mais ma mère ne m'a jamais sollicitée et empêtrée dans ma timidité, je ne lui ai jamais proposé. Le seul rituel que nous nous accordons est de manger ensemble le dimanche midi. Elle m'accueille le plus souvent, nos repères de vie en commun sont chez elle. Les quelques fois où elle vient chez moi, la spontanéité de notre relation est comme ankylosée. Alors tacitement, nous privilégions de nous retrouver dans sa maison.

Mon enfance a été marquée par plusieurs déménagements. Je n'ai gardé aucune nostalgie pour un lieu précis et j'étais de toute façon trop petite pour me souvenir de la plupart d'entre eux. Les changements se sont faits au gré de ses activités professionnelles. Depuis une quinzaine d'années, nous avons posé nos valises dans cette ville. Ma mère a eu l'opportunité d'acheter une petite maison non loin du centre, nichée au fond d'une impasse. Elle nous garantit sécurité et tranquillité. Elle a hébergé mon adolescence qui contrairement à ce qu'aurait voulu l'usage n'a été marquée par aucune transgression, si ce n'est mon journal intime caché derrière mon bureau, unique acte de rébellion contre un passage de ma vie qui ne m'a posé aucun problème. Je suis bien avec moi-même. Je n'ai jamais éprouvé le besoin de m'opposer pour exister. Les autres sont le néant. Ma vie intérieure a toujours été mon univers. A l'exception de ma mère, si protectrice et paradoxalement si inaccessible. Elle est la seule à avoir de l'importance à mes yeux même si parfois, elle me parait à des années-lumière de moi.

Là, dans ce train avec elle, je suis bien. Je me sens forte. Cette mésaventure nous a réunies et elle semble aussi enjouée que moi à l'idée de braver l'inconnu. Je ne lui ai pas encore tout dit. J'attends le bon moment et je compte sur ce trajet, pour me fournir l'instant adéquat. Cet instant qui me permettra de me libérer la parole.

Pour me donner du courage, je décide que mon « Bon moment » pour lui parler, sera juste après le passage du contrôleur. Je le vois arriver avec appréhension. Il vérifie nos billets, nous remercie et poursuit son chemin. Sa venue n'a pas eu l'effet escompté. Je n'ai pas réussi à prendre la parole. Je reste muette.

Ma mère elle, ne l'est pas. Galvanisée par la situation, tout lui est sujet à digression. Elle est justement en train de me détailler la fois où lorsque j'étais petite, elle m'avait perdue dans un train. Je la laisse parler, mais j'ai envie de lui dire « Je la connais cette histoire, j'y étais ! J'étais juste allée chercher, sous les sièges, un livre que j'avais fait tomber. Tu étais partie aux toilettes et en revenant tu ne m'as plus vue, tu as cru que j'avais disparu. Affolée, tu as interpellé le contrôleur, présent au moment même où j'ai refait surface. Tu t'es alors jetée dans ses bras, puis après avoir rapidement recouvré tes esprits, tu t'es platement excusée d'une réaction que tu ne t'expliques toujours pas ! »

Je l'écoute et comme prévu pour finir, elle précise qu'elle ne comprend toujours pas pourquoi elle a réagi aussi intensément, elle a eu très peur d'accord, pourtant ma disparition n'a duré que l'espace de quelques secondes. Elle referme le sujet en m'interrogeant :

« Et toi, quand est-ce que tu as eu le plus peur ? »

Je suis surprise pas cette question, mais je mesure très vite que je ne pouvais pas espérer meilleure demande pour introduire ce que j'ai à lui avouer. Je la regarde et lui réponds :

« Il y a quatre jours ».

Sur son visage se lit la stupéfaction. Elle ne s'attendait certainement pas à une réponse aussi précise et faisant référence à mon passé aussi proche. Elle me rétorque inquiète :

« Qu'est-ce qu'il t'est encore arrivé ? »

Percevant que le sujet est sensible pour elle, je décide de la ménager.

« Celle qui est rentrée dans ma chambre d'hôpital, Marion Pelti, et bien... je l'ai revue.

— Il y a quatre jours ?

— Oui, c'est ça. Elle est venue chez moi.

— Tu l'as invitée ?

— Pas exactement. Elle s'est plutôt invitée.

— Ne me dis pas qu'elle est encore entrée par effraction chez toi cette folle ? »

Pour essayer de dédramatiser et de désamorcer la tournure excessive que prend mon histoire dans son esprit, je reprends le qualificatif qu'elle a utilisé en précisant :

— Oui la folle est rentrée de force chez moi. Au début je n'étais pas rassurée du tout, mais finalement, j'ai réussi à retourner la situation et tout s'est très bien terminé. »

Sa réaction ne se fait pas attendre :

« Non ! Ce n'est pas possible ! ».

Un peu énervée d'être obligée de devoir encore ménager mes propos, et estimant lui en avoir suffisamment dit pour qu'elle garde son calme, je lui demande un peu sèchement d'arrêter de m'interrompre toutes les deux secondes si elle veut que je lui raconte les tenants et les aboutissants de ma rencontre. Elle acquiesce par un hochement de tête, en signe d'accord.

Je lui détaille alors plus sereinement l'intrusion de Marion chez moi, ma fuite et le moment où j'ai décidé de revenir sur mes pas, habitée par une détermination qui m'a donnée le courage de rebrousser chemin et de l'affronter. Je lui précise que j'ai quand même eu un moment d'hésitation en arrivant sur mon palier. J'étais tenaillée par la volonté d'en découdre et déstabilisée par l'imprévisibilité de la situation. Le souvenir de ma vulnérabilité, bloquée sur mon lit d'hôpital lors de son passage, restait encore très vif. Heureusement, là, je me sentais en pleine possession de mes moyens et la situation me donnait l'opportunité de corriger son impudence. J'ai donc délicatement ouvert la porte, qu'elle avait pris soin de refermer après mon départ. Grâce à mon hyperacousie, j'ai identifié qu'elle était du côté salon, elle était en train de parler. Je l'ai entendue dire « ... je te trouve distant ces derniers jours et je veux que tu saches que tu peux toujours compter sur moi.... Je suis allée chez Sybille pour lui mettre la pression... ». Elle téléphonait assise sur le canapé. Étant positionnée dos à l'entrée, elle ne pouvait pas me voir. Neptune, si.

Con de chat ! Il a miaulé dans ma direction lorsque je suis arrivée au niveau du canapé et il a ainsi dévoilé ma présence. Elle s'est retournée et levée brutalement. J'ai alors, profité de l'instant qu'elle a pris pour raccrocher et replacer son téléphone dans son sac en bandoulière, pour me jeter sur elle. Je l'ai agrippée par les cheveux en y mettant tout mon poids. Sous l'effet de la douleur, elle s'est pliée en deux, ses mains sur les miennes pour essayer de se libérer, mais je n'ai pas lâché ma prise. Je savais que c'était le seul moyen de garantir ma sécurité. Ma poigne était ferme, celle d'un gladiateur. Je lui ai relevé la tête dans ma direction pour qu'elle puisse me voir. Je lui ai dit sur un ton sec et déterminé :

« Ne t'avise plus jamais de croiser mon chemin Marion Pelti ! Tu as cru pouvoir me faire peur ? Tu t'es trompée ! Tu as cru que j'avais un lien avec Aline de Bret? Tu t'es trompée ! Tu as cru que l'amour durait toujours ? Tu t'es encore trompée ! Tu t'es trompé sur toute la ligne Marion Pelti ! Et maintenant tu vas ficher le camp de mon appartement et de ma vie ! Occupe-toi plutôt de savoir pourquoi ton Leface est distant ! »

J'ai restitué mon monologue, mot pour mot, à ma mère. Je lui explique aussi qu'animée par cette fureur, je l'ai déplacée par les cheveux jusqu'à l'entrée et l'ai projetée hors de chez moi. Elle a trébuché, s'est rattrapée de justesse au garde-corps, a jeté un dernier regard dans ma direction, puis a descendu les marches de l'escalier, agrippée à la rambarde, pour partir le plus vite possible. J'ai attendu de ne plus la voir pour fermer la porte à double tour et mettre la chaîne de sécurité. Je n'ai pas eu peur. J'ai juste puisé ma détermination dans le besoin de venger toutes les fois où j'ai été dénigrée. Et elles ont été nombreuses.

Rien ne peut m'arriverWhere stories live. Discover now