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Aline

J'ai décidé d'aller affronter Yvan chez lui. Je veux retourner à la source du problème. Sachant tous mes moyens de communication traqués, j'ai acheté un billet de train en cash directement au guichet de la gare, pour être sûre de ne laisser aucune trace.

Je n'ai plus besoin d'imaginer un mensonge pour couvrir mon absence. Arnaud est toujours soi-disant « submergé » de travail. Notre domicile est son dortoir. Notre lit le seul lieu de réunion de nos corps épuisés, vidés de toute libido. L'atmosphère n'est plus à la communion.

Même Stan, pourtant peu sensible aux états d'âmes de ses parents, a perçu le dysfonctionnement de notre couple. Il file droit persuadé d'en être à l'origine. Je me garde bien de le déculpabiliser. Son erreur de jugement me simplifie la vie, je n'ai plus à le surveiller. Depuis son coma éthylique, il s'interdit tout écart. Il rentre à la maison dès la fin des cours, travaille ses matières, ne nous fait subir aucune saute d'humeur. Il parait même apaisé par ce nouveau rythme. Si son entorse l'a rendu taciturne, il a très vite changé d'attitude. Il a basculé dans l'ombre de son père. Il est discret, sérieux, consciencieux. Je suis toutefois sur mes gardes. Il faut savoir rester vigilent avec l'adolescence, même si elle semble pour l'instant, lui laisser un peu de répit.

Cette parenthèse lui a d'ailleurs ouvert un nouveau niveau de conscience puisqu'à ma surprise, il m'interroge sur mon état de santé. Je le rassure. Il me regarde dans les yeux et fait une moue remettant en cause ma réponse. Il conclut que j'ai plutôt l'air fatigué. Je lui réponds que oui un peu, j'ai beaucoup de travail et d'ailleurs, je dois y aller.

Je le laisse là avec son questionnement. Je ne veux surtout pas enclencher une conversation avec lui, mon train est dans trois-quarts d'heure. Et puis son attention me touche. Je m'affaire le cœur serré, troublée par sa bienveillance. Lui apporter des arguments fictifs pour me couvrir est au-dessus de mes forces. Pour conserver les apparences, je lui assène des consignes que je sais inutiles, puisqu'il se les impose tout seul.

Au moment de partir, j'attends d'être sur le seuil de la porte, pour lui souhaiter de loin, une bonne journée et l'informer de mon retour certainement tardif. Je ne veux absolument pas lui laisser la possibilité de pouvoir m'interroger sur mon programme à venir.

Revoir Yvan, crever l'abcès, c'est tout ce qui m'importe. Arrivée à destination, je vais directement au bar de notre rendez-vous. Je n'ai pas son adresse précise, juste le souvenir du trajet que nous avons fait à pied depuis le « Passe-temps ». Mon idée est de suivre ce chemin, que j'espère avoir encore suffisamment en mémoire, pour aller chez lui. Je commence à douter de ma route lorsque je reconnais l'immeuble. Soulagée et angoissée à l'idée de cette possible rencontre. Je me ressaisis et appuie plusieurs fois sur son nom à l'interphone. Mes appels restent sans réponse. J'avais prévu cette éventualité. Je savais que la probabilité de le retrouver chez lui en pleine matinée de semaine était très faible, mais je préférais m'en assurer.

Je commande un taxi sur mon application pour me rendre sur son lieu de travail, où cette fois-ci, je suis à peu près sûre de le rencontrer. Le timing est serré. Il est presque midi. Arrivée à temps à l'accueil, je demande le bureau de Monsieur Leface. La réponse est immédiate :

« Je suis désolée, Monsieur Leface n'est pas disponible.

— Comment ça, il n'est pas disponible ? ». J'insiste parce que je trouve très surprenant qu'elle me réponde aussi vite, sans s'être renseignée au préalable.

— « Et bien, il ne peut pas vous recevoir. Mais vous représentez quelle société ?

— Ce n'est pas grave. Dans ce cas, est-ce que vous pouvez prévenir Marion Pelti ? »

Je ne suis pas sûre que cette idée soit judicieuse. C'est pourtant la seule qui me soit venu à l'esprit, pour détourner l'hôtesse de sa demande.

Je lui précise que je n'arrive pas à les joindre. Contre toute attente, cette information, apportée juste pour essayer de crédibiliser ma présence, fait basculer notre échange.

L'hôtesse m'avoue alors que je ne suis pas la seule à ne pas réussir à les joindre. Elle m'apprend l'absence inexpliquée d'Yvan. Elle me précise que Marion aussi est absente. Par contre la sienne est justifiée. Elle est en arrêt maladie depuis quelques jours et elle sera de retour demain. Demain ? Je serai loin !

Je rebrousse chemin perplexe. Depuis le début, rien n'est simple et voilà que la pièce maîtresse de mon affaire se volatilise. J'insiste auprès de la jeune femme pour me faire préciser ce qu'elle entend par « Plus de nouvelles ». Et bien, c'est silence radio. Aucune information et toutes les tentatives pour contacter Yvan sont restées vaines. Son assistante, si proche de lui, n'a pas pu apporter plus d'explications, à ce qui ressemble à une disparition.

Je suis désabusée par la tournure des événements. Ce voyage m'a demandé beaucoup d'énergie et je n'avais pas imaginé revenir bredouille. Après réflexion, je finis par me résoudre à admettre qu'il ne me reste plus qu'une seule carte à jouer et elle s'appelle Sybille. Je suis dans sa ville et elle sait peut-être où trouver Marion, puisqu'Yvan s'est évaporé.

Je lui téléphone. Elle ne semble pas étonnée par mon appel. Je lui explique le silence d'Yvan et ma volonté de rencontrer sa complice. Elle me confirme qu'elle connaît son adresse.

M'adjoindre ses services me coûte, mais je ne vois pas d'autre alternative, si je ne veux pas avoir fait ce déplacement pour rien. Je reprends donc un taxi, pour me rendre au point de rencontre qu'elle m'a fixé.

Elle est déjà là quand j'arrive. Elle expédie les salutations par un « Bonjour, suivez-moi ». J'ai à peine le temps de lui répondre, qu'elle est déjà en train de marcher dans une direction qu'elle seule connaît. Je lui emboîte le pas. C'est parfait pour moi n'ayant rien à lui dire. A ma surprise, nous nous retrouvons dans le quartier d'Yvan, proche de son immeuble. Sybille m'amène au pied d'un beau bâtiment. Elle est soudainement loquace. Elle me partage sa perplexité sur le niveau de vie de Marion. Elle m'explique que ni son statut professionnel, ni ses origines familiales ne permettent d'expliquer son train de vie. L'argent semble couler à flots pour la gente demoiselle.

Au moment où je vais pour appuyer sur le bouton de l'interphone, Sybille s'interpose et me dit « Laissez-moi faire ! »

Rien ne peut m'arriverWhere stories live. Discover now