35 Sybille

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Sybille

Nous sommes toujours dans le salon, assises l'une en face de l'autre, mais l'atmosphère n'est plus la même. Je suis stupéfaite par ce que je viens d'apprendre et elle, est soulagée de s'être enfin livrée.

« Alors, ta relation avec le Professeur de Bret est liée à ton travail ?

— Oui, tu croyais quoi ?

— Eh bien en fait, je me demandais s'il n'y avait pas quelque chose entre vous. Il n'y a rien entre vous, rassure-moi ?

— C'est sûr qu'il est séduisant, mais au début de mon activité, je me suis fixée comme règle de conduite, de ne jamais mélanger le travail avec les sentiments ! »

Il me vient alors à l'esprit ces hommes croisés à la maison quand j'étais jeune.

« J'ai le souvenir d'un curé et d'un préfet et je me suis toujours demandé ce qu'ils étaient venus faire chez nous. Tu étais en affaires avec eux, c'est ça ?

— Oui. Quand on enquête sur la vie d'une personne, on est amené à connaître des informations sensibles sur elle. Ce qui peut créer une certaine proximité ou une distance sans retour !

— Et ces hommes ont fait partie de la première catégorie, comme le Professeur de Bret ?

— Oui.

— Et pourquoi un curé avait besoin d'une détective ?

— Une affaire de chantage. J'ai pu apporter les éléments prouvant son innocence.

— Ok et le préfet ?

— Curieuse ! Et bien là, c'était une classique affaire d'infidélité. Il avait des doutes sur sa femme, que j'ai confirmés. Et puis il a fait ce que j'appellerais un transfert! Disons que j'ai eu du mal à repousser ses avances. Heureusement, il a été muté.

— Pourquoi tu n'as pas refait ta vie Maman ? »

La question m'a échappée. Jamais auparavant, je n'aurais osé aborder le sujet, mais la situation me donne l'opportunité de transgresser mes interdits. De son côté, elle ne montre aucun signe de désaveux. Au contraire, elle semble prête à se justifier.

« Refaire ma vie ? La refaire voudrait dire que je l'ai déjà faite. Je ne sais déjà pas si je fais ma vie ou si c'est elle qui me fait ! Alors la refaire ? J'en suis bien loin.

— Maman, tu comprends ce que je veux dire !

— Oui ma chérie. Effectivement, il n'y a pas d'homme dans ma vie. Cela peut paraître bizarre, mais ton père est l'homme de ma vie. Et la mort n'y a rien changé. C'est mon destin. Mon conjoint est un souvenir. Je vis avec ce souvenir. Un souvenir suffisamment présent pour me combler. Voilà pourquoi tu ne m'as jamais vue avec un homme. Je n'en éprouve pas le besoin. Je suis heureuse comme ça. Par contre, je ne suis pas contre la séduction. C'est un jeu de dupes auquel je joue de temps en temps, tout en restant lucide sur la finalité. Et toi ? Puisqu'on est sur ce terrain, tu en es où ? »

Non pas ça ! Je n'ai pas du tout envie d'aborder ce point avec elle. Je lui réponds « Rien de particulier », espérant ainsi clore le sujet, mais elle renchérit :

« Ton inscription sur le site Internet n'a rien donné ?

— Comment tu sais ça ?

— Je peux savoir beaucoup de choses, il faut que tu t'en rappelles maintenant ! Mais ne t'inquiète pas, j'ai respecté et je respecterai toujours ton intimité. Juste, au début de ton hospitalisation, j'ai cherché à comprendre pourquoi tu avais atterri là-bas. J'ai analysé ton téléphone et ton ordinateur. Je te promets que je ne l'ai pas fait de gaieté de cœur. Je ne voulais pas fouiller dans ton intimité mais je voulais retrouver le nom de cette copine de classe que tu devais aller voir. J'espérais qu'elle pourrait m'expliquer ce que tu faisais dans cette galerie. Je n'ai rien trouvé sur elle mais c'est comme ça que j'ai vu les échanges sur ton application de rencontre. J'ai aussi vu tes trajets en train, tes recherches sur les de Bret et sur les Pelti. Je me suis retrouvée avec toutes ces informations et je n'arrivais pas à trouver ce qui te liait à eux. Je ne pouvais pas non plus te demander pourquoi tu t'intéressais à eux, sinon j'aurais dû t'expliquer comment j'avais obtenu ces informations. Et à ce moment-là, il n'était pas question que je te parle de mon métier de détective. Tu étais trop fragile émotionnellement, pour que je te détaille mon parcours. Alors j'ai attendu que tu abordes toi-même le sujet et quand tu as perdu la mémoire, j'ai cru que je ne le saurais jamais. C'est aussi pour ça que je me suis rapprochée du Professeur de Bret. En le cuisinant l'air de rien, j'ai espéré avoir des réponses à mes interrogations. »

Notre échange me place dans une espèce d'euphorie contenue. Je sens avoir atteint un point de non-retour. Je suis sauvée. Sauvée de mon inaptitude à communiquer. Sauvée de la tutelle de ma mère. Elle me parle d'égal à égal. Sa vie est rocambolesque et elle me l'a toujours caché. Je réalise aussi qu'en me lançant dans cette aventure, j'ai peut-être voulu suivre sa trace, inconsciemment. Inconsciemment, j'avais déjà compris qui elle était.

Un « Et oh ! La lune ! » me ramène à la réalité. Je lui dis alors ce qui vient de traverser l'esprit :

« En fait, je viens de penser que sans m'en rendre compte, j'ai suivi tes pas. C'est troublant.

— Oui, je te l'accorde. Et imagine le mien de trouble ! Lorsque tu m'as expliqué avoir suivi Aline de Bret et Yvan Leface, puis fouillé dans la vie de Marion Pelti, juste par curiosité !

— Pourtant, quand j'ai osé te l'avouer, tu n'as pas réagi. Je m'attendais à ce que tu « m'engueules » ! Que tu me dises que ça ne se faisait pas de suivre des inconnus, que c'était absurde ! Ou dangereux ! Mais non rien !

— Disons que j'ai essayé de rester impassible, je n'ai pas voulu te montrer que j'étais bouleversée. Bouleversée de comprendre que ta décision supposée farfelue, était en fait en résonance avec mon métier. Tu savais sans savoir ! Peut-être aurais-je dû être plus transparente avec toi sur mes choix professionnels ? En te laissant dans ta bulle, je pensais te protéger, mais les circonstances tendent plutôt à me faire penser que j'ai failli te tuer. »

Mes pensées s'entrechoquent. Est-ce la faute de ma mère si j'ai failli mourir ? Où à l'inverse, est-ce grâce à elle si j'ai échappé à la mort ? Ces questions et bien d'autres pour conclure que décidément la vie n'a pas beaucoup de sens.

Rien ne peut m'arriverWhere stories live. Discover now