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Sybille

J'ai lentement refait surface. Remettre les pièces du puzzle à leur place n'a pas été une mince affaire. Au début clouée sur mon lit d'hôpital, je n'avais pas la moindre explication à donner sur ma présence dans cette ville, si loin de chez moi. Ma mère par ses interrogations me demandait d'apporter des réponses à des questions que je ne comprenais pas. Puis par bribes, les informations sont revenues. Ma vie insignifiante, mon envie d'aventure, l'adultère de madame de Bret. Et dire que je suis soignée par son mari.

Ma mère ne tarit pas d'éloge à son sujet. Il ne faut pas exagérer. Il m'a sauvé la vie, certes. Je l'en ai remercié. Lui en serais-je éternellement reconnaissante ? Seul l'avenir me le dira. Peut-être aurait-il été plus simple que tout s'arrêta là. 

Mon corps retrouve peu à peu ses fonctions, mais mon esprit reste figé dans ses lugubres pensées. Cet état dépressif post-traumatique est normal. Cela ne me semble pourtant pas très normal de ne pas avoir envie de vivre, alors que toutes les personnes à mon chevet insistent sur le caractère miraculeux de mon rétablissement. Je n'en tire aucune énergie. Je suis bloquée. J'ai peur de replonger dans ma réalité. Alitée, maternée par ma mère, surveillée par l'éminent docteur, je n'aspire aucunement à me retrouver toute seule dans mon appartement. Neptune ! Horrifiée à l'idée d'avoir laissé mon chat à l'abandon, je prononce son nom. Ma mère me rassure en m'annonçant qu'une de ses amies s'occupe de lui.

Cela fait cinq jours qu'elle est à mon chevet, qu'elle me stimule, qu'elle cherche à me redonner l'envie de communiquer. Elle a interprété à juste titre que le mutisme dont je fais preuve depuis ces derniers jours, n'est plus à attribuer aux effets secondaires de mon traitement. Le danger s'est éloigné, la situation a évolué. Mais voilà, depuis que la réalité de ma vie a refait surface, que je me rappelle lui avoir menti pour cacher cette virée sans fondement, je me sens misérable. Devoir maintenir ce mensonge parce que la vérité est encore pire à dire, me coupe toute velléité à parler. Je suis bien mieux dans mon silence. Enfin presque, parce qu'il ne m'empêche pas de percevoir son angoisse. Ma lucidité recouvrée ne me renvoie pas seulement à moi-même, elle me fait prendre aussi conscience de sa souffrance. Elle a les traits tirés, elle a vieilli. Elle fait bonne figure alors que l'ombre de la mort brutale de mon père plane. Selon le Professeur de Bret, je souffre certainement de la même pathologie que lui.

Mon pauvre Papa lui, n'a pas eu la chance d'une prise en charge rapide. Il a été emporté par la mort sous les yeux de ma mère. Il revenait d'un tour à vélo. Il se sentait étrangement fatigué. Il s'est subitement écroulé. Elle a essayé de le faire revenir à lui, en le secouant, en lui tapotant les joues, mais elle a très vite compris que ses encouragements ne suffiraient pas à lui faire reprendre connaissance. Elle l'a laissé le temps d'appeler les secours et lorsqu'elle est revenue, il avait déjà sombré dans le sommeil éternel.

Il me revient soudainement à l'esprit sa recommandation : « Va rejoindre Maman, ne la laisse pas seule ». Le souvenir de ce flash surgi au cours de ma réanimation donne une incarnation à mon père. Il n'est plus seulement un visage sur des photos ou des souvenirs racontés par ma mère, il est une conversation que j'ai eue avec lui. Vingt-quatre ans après sa mort, mon père m'a parlé. Heureusement que je suis couchée. Cette sensation est si concrète si étrange, alors qu'elle n'a aucun fondement tangible, que mon corps pour couper court à ce trop-plein émotionnel réagit par une chute de tension. Déjà allongée, je ne risque pas de tomber plus bas. Sauf qu'étant reliée à une machine pour contrôler mon cœur, elle enregistre aussitôt l'inversion et déclenche une alarme faisant accourir la moitié du service de cardiologie.

Je ne suis pas une patiente ordinaire. J'ai été sauvée par le chef du service. Il est hors de question qu'il m'arrive quoi que ce soit en son absence. Il est en intervention au bloc. Dans mon état, une variation de tension peut présager du pire. Heureusement, le rythme de mon cœur est resté constant et l'incident est mis sur le compte de mon statut de convalescente.

Ma mère a été priée de quitter la chambre le temps de l'auscultation. Elle revient bouleversée. C'est elle qui ne va pas tenir si je continue. Ma mort est une chose, la sienne inenvisageable.

Contre toute attente, cet incident m'a remis les idées en place. Il m'a donné la force d'émerger, avec pour objectif de laisser ma mère retrouver sa petite vie bien tranquille.

Ma sortie de l'hôpital n'est pas encore d'actualité. Le docteur a programmé une intervention dans les jours à venir, mais j'éprouve enfin le besoin de remettre un pied à terre, de quitter mon tapis volant. Même si je reste faiblarde, j'exprime enfin mon enthousiasme à l'idée de reprendre ma vie. Il va encore me falloir passer l'étape de l'opération, mais j'envisage l'échéance avec optimisme. Je fais les efforts nécessaires pour rasséréner ma mère.

Elle a accueilli ce revirement avec soulagement. Je le constate dans l'évolution de son comportement à mes côtés. Sa vigilance a évolué. Elle s'autorise maintenant à lire ou à faire des sudokus, activités inconcevables jusque-là puisqu'il lui aurait fallu me lâcher du regard. Le danger est passé, elle a baissé la garde et elle s'est même autorisée un déjeuner avec le Professeur de Bret, ce midi.

Il est environ seize heures lorsque quelqu'un frappe à la porte. Marion Pelti n'attend pas ma réponse pour faire son entrée dans ma chambre. Je suis médusée, sidérée par son apparition. La scène se rejoue. Surprise de voir ma mère sortir de la salle d'eau, elle s'excuse en prétextant s'être trompée et ressort promptement. En réaction, mon cœur s'emballe à nouveau. Toujours branchée, l'alarme d'un des appareils bat le rappel et fait à nouveau débouler la cavalerie.

Rien ne peut m'arriverحيث تعيش القصص. اكتشف الآن