16 Aline

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Aline

Aline

Six heures de route pour une heure de vol. Nous sommes dans la voiture. Je ne pouvais pas refaire ce trajet en avion. Il est trop marqué par le sentiment de honte ressenti après avoir été piégée par Yvan. Arnaud a accepté mon choix à contrecœur. J'ai prétexté que les aéroports me rappelaient le travail et que j'avais besoin de décompresser. Il a obtempéré. Pourtant, je vois bien qu'il est contrarié. Il est fatigué et aurait préféré se faire transporter. Comme d'habitude, son abnégation a donné priorité à mes volontés.

J'étais tellement sous pression ces derniers temps, qu'il m'était impossible de lui porter attention jusqu'à maintenant, jusqu'à cet instant où je regarde son visage concentré sur la route. Il est beau. Ses mains parfaites, posées sur le volant. Elles ont l'élégance de ses origines. En d'autres temps, leurs caresses m'ont révélée à moi-même. Une bouffée de désir m'envahit. Je voudrais l'embrasser, lui dire que je l'aime, lui dire merci, mais je me sens prisonnière de la bête sauvage que je suis devenue. Cela fait bientôt un mois qu'il ne peut plus me toucher, que tout est prétexte à éviter ses approches. Finalement avoir choisi la voiture est une bonne idée. La promiscuité de l'habitacle me recentre sur mes priorités. Glisser ma main dans ses cheveux n'est pas un geste spontané et il est le seul que j'arrive à faire, pour lui exprimer mon désir de retrouver plus d'intimité. Il répond par un sourire bienveillant, reste silencieux, apaisé par cette illusion de complicité retrouvée.

Et puis même si c'est reculer pour mieux sauter, le dernier message d'Yvan me rassure. Je comprends mieux où il veut en venir. Il veut de l'argent. Et j'en ai. Enfin, tout dépendra du montant. Mes stock-options sont une réserve dans laquelle je peux puiser sans qu'Arnaud ne se doute de rien. J'ai décidé d'en débloquer pour cinquante mille euros. Je préfère anticiper même s'il ne m'a pas encore annoncé la somme à verser. Je suis même satisfaite à l'idée de lui donner de l'argent pour effacer mon écart de conduite.

J'ai réservé une suite dans un hôtel haut de gamme, une bâtisse près de l'océan hors de la ville. J'ai justifié mon choix par la beauté de l'environnement. J'ai en fait étudié l'adresse de la mère de Sybille. Elle n'habite pas le quartier d'Yvan. Elle est même à l'opposé. J'ai donc trouvé un hôtel à proximité de chez elle pour minimiser le risque de le croiser. J'ai fait ma recherche depuis mon bureau pour éviter qu'Arnaud ne tombe sur une information pouvant l'amener à me questionner. Il a apprécié que je prenne en charge la réservation de notre hébergement. Il l'a interprété comme la confirmation que son investissement à essayer de changer mon quotidien, n'était pas vain. Chacun y a trouvé son compte.

Arrivés en début d'après-midi, nous avons été immédiatement séduits par le lieu. La beauté de la nature, la qualité des prestations nous a permis de lâcher prise et de retrouver notre humeur badine. Profitant du spa pour rapprocher nos corps, la somptuosité de la chambre a fait le reste. Je revis. Je me réchauffe de la chaleur du corps d'Arnaud. Je me rassasie de fruits et autres gourmandises mises à disposition. Je m'autorise à nouveau les plaisirs de la vie loin de mon téléphone laissé à la maison. Arnaud a le sien, c'est suffisant. Il en a besoin pour son travail et nous voulons pouvoir joindre notre fils. Pour la première fois, nous avons accepté de le laisser seul. Et mes parents ? Pourquoi chercheraient-ils à me joindre ? Nous n'avons rien à nous dire. Nos échanges sont toujours laborieux, à chercher le sujet qui donnera un sens à notre bref appel. Ils vont bien selon leurs dires, mais cela fait un moment que je ne suis pas allée les voir pour vérifier.

Allongée sur le lit King size à côté d'Arnaud assoupi, la situation m'amène à l'introspection. J'éprouve des regrets. J'aurais voulu les aimer comme avant, j'aurais voulu retrouver le sentiment inconditionnel que petite fille, je leur portais. Certains changent d'horizon pour oublier leurs proches, moi, j'ai changé de classe sociale. Tout ce chemin parcouru ne me permet plus de revenir en arrière, les cartes sont trop brouillées.

Rien ne peut m'arriverWhere stories live. Discover now