30 Aline

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Aline

J'émerge lentement. Je ne sais pas trop où je suis. J'entrouvre les yeux et aperçois une tête qui se penche sur moi pour me rassurer. Mais de quoi ? Je n'en ai aucune idée. Je suis bien, je préfère refermer les yeux. J'entends le va-et-vient de plusieurs personnes et des bribes de leurs conversations. « Les constantes sont bonnes... » « R.A.S au scanner... » « Son mari est toujours injoignable... »

« Mon mari est toujours injoignable ! » Cette information me précipite hors de ma léthargie. Je réalise alors que je suis sur un lit d'hôpital et l'arrière de mon crâne m'est terriblement douloureux. Je bouge ma main libre le long de mon flanc, l'autre étant bloquée par une perfusion et constate que je porte une blouse. On m'a déshabillée sans mon aval. Je suis scandalisée. J'émets une espèce de râle pour attirer l'attention. Une infirmière s'approche. J'utilise ma main libre pour l'agripper. Je lui intime l'ordre de me donner mes vêtements. Elle tente de me calmer, sans succès. Face à ma nervosité grandissante, elle préfère appeler du renfort. On m'injecte un produit et je repars dans le néant.

Mon deuxième réveil est différent. La pièce est silencieuse. Un homme me parle « Réveillez-vous Madame de Bret. Vous m'entendez ? » Oui je l'entends, pourtant, je ne ressens pas la nécessité de lui répondre. Je suis bien. « Madame de Bret, il faut vous réveiller maintenant ! On a recousu votre plaie. Allez ! Votre sieste est finie ».

Sa voie est bienveillante. « Est-ce que vous avez mal derrière la tête ? ». En la bougeant doucement, je sens une légère tension derrière mon crâne. Ça doit être ça ! Je voudrais bien ouvrir les yeux, mais mes paupières sont trop lourdes. Puis, au bout d'un moment, je réalise que mon interlocuteur parle avec quelqu'un d'autre. Ce quelqu'un se met à me caresser la joue et me dit « Eh bien ma chérie ! Dans quelle galère tu t'es mise ! ». Mon sauveur est là ! On a retrouvé mon mari.

« Tu es en salle de réveil. Tout s'est bien passé. On va bientôt te transférer dans mon service pour terminer ta nuit. Demain, tu seras sur pied et je te ramènerai à la maison. Là, je vais rentrer, je vais rejoindre Stan. Tu es entre de bonnes mains, on se retrouve demain matin. Tu m'as entendu ? »

Je réussis à prononcer un son, semblant se rapprocher de « oui » et je me rendors rassurée.

Je me réveille ensuite dans un couloir. Les soubresauts de mon lit au passage du pallier de l'ascenseur me sortent de ma somnolence. Comme le brancardier me voit ouvrir les yeux, il me salue et rajoute qu'il est en train de me conduire à ma chambre. Il me précise que j'ai de la chance, je vais être chouchoutée par mon mari. A mon arrivée à destination, je suis accueillie par une infirmière. Elle m'informe qu'il me reste encore quelques heures à dormir avant que la journée ne démarre et qu'elle repassera.

Les sédatifs qui m'ont été administrés font leur effet. Rien ne m'atteint. Je suis bien. J'aurais voulu rester dans cet état mais Arnaud en a décidé autrement. Il est arrivé au petit matin, bien plus tôt qu'à son habitude de travail. Il a allumé la lumière et bousculé le lit pour me réveiller. Sur un ton sec il me dit:

« Je n'ai pas réussi à dormir. Te savoir dans mon service, après Stan. Tu ne crois pas que les conneries de notre fils étaient suffisantes ! Il a fallu que tu t'y mettes aussi !»

Le mari bienveillant de la salle de réveil s'est volatilisé. Arnaud a pris place dans le fauteuil à côté de mon lit. Son choix est calculé, la position du siège lui assure la proximité nécessaire pour lui garantir la confidentialité de son discours menaçant. C'est la douche froide. Je pensais trouver du réconfort, je replonge sans ménagement dans ma réalité. La douleur derrière mon crâne se réveille. Ce n'est pas lui qui a mal ! Le fil de ma soirée me revient en mémoire. Je lui demande alors :

« Et toi, tu étais où hier soir ? Tu étais injoignable ! »

Même si je me veux offensive, le son de ma voix reste faible. Ce qui n'est pas le cas d'Arnaud. A l'inverse, il se contrôle pour ne pas parler trop fort.

« J'étais au bloc pour une urgence !

— Ah oui, et quand tu es au bloc, personne ne peut dire où tu es ! Ils ont appelé sur ton portable et dans ton service. Je les ai entendus !

— Alors tu t'es trompée ! » répond-il sèchement.

« Non, je ne me suis pas trompée, qu'est-ce que tu me caches ?

— Qu'est-ce que je te cache ? Et toi, qu'est-ce que tu me caches ? »

Sa réponse me cloue, me leste dans ma culpabilité.

« Je te repose la question ! Et toi qu'est-ce que tu me caches ? »

Son visage est maintenant au-dessus du mien. Je n'ai jamais vu autant de mépris dans son regard. Je voudrais disparaître dans le matelas. Je ferme les yeux. En les rouvrant l'image n'a pas disparu, j'ai toujours son visage penché sur le mien. Je lui lâche finalement « Rien que tu ne saches déjà ». Surpris par mon argument, il marque un léger recul, mais il se ressaisit immédiatement. « Et qu'est-ce que je devrais déjà savoir ? »

Il est menaçant. Je ne le reconnais pas. Je craque. Je détourne le regard pour trouver la force d'avouer.

« Ce que tu dois savoir, c'est que j'ai commis l'irréparable. Que je m'en veux. Que j'ai gâché notre amour. Que je donnerais tout pour revenir en arrière. Arnaud, je sais que tu ne me pardonneras pas. Je suis prête à tout endurer, je veux juste rester avec toi. »

En tournant à nouveau ma tête vers lui, je me retrouve face à un bourreau impassible devant la détresse du condamné. Je lui agrippe le bras, il se dégage. Dans un sursaut de vaillance, je lui dis :

« Arnaud, je sais que tu sais, mais je sais aussi qu'Yvan est venu te voir et que depuis il a disparu.»


Rien ne peut m'arriverWhere stories live. Discover now