17 Sybille

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Sybille

J'appréhende la rencontre. Je les ai entendus arriver, mais je reste cloîtrée dans ma chambre. J'entends maintenant les pas de ma mère dans l'escalier. Inquiète de mon absence, elle est venue me voir. Elle me trouve prête, assise sur mon lit, bloquée. Je n'ai pas d'arguments pour me justifier. Elle n'en attend de toute façon pas. Elle me rappelle juste que je ne suis plus une gamine, que j'ai passé l'âge de me cacher. Je finis par lui avouer que je suis terrifiée à l'idée de devoir rencontrer madame de Bret, alors que je ne sais même pas pourquoi je suis allée à son exposition. Elle me gratifie d'un « Tu crois que je ne l'avais pas deviné ? » sur un ton réprobateur et elle rajoute « Est-ce que tu m'as déjà vu te laisser en difficulté ? ». Sur ce, elle m'informe qu'elle va servir l'apéritif et que j'ai trois minutes pour arriver, pas une de plus, ordre non négociable.

Je n'en mène pas large. J'attends qu'elle revienne dans le salon pour faire mon entrée. Il n'est pas envisageable de me retrouver seule avec eux. L'accueil est cordial et j'éprouve une certaine jubilation de voir dans leur regard ce que j'ai vu dans celui de ceux qui m'ont croisé avec ma nouvelle coiffure, la surprise. Celle de découvrir que derrière l'insignifiance de ma personne pouvait se trouver une jeune femme non dénuée d'un certain charme.

Cette nouvelle sensation est grisante. Je suis passée du côté obscur des relations humaines, celui de la séduction. C'est tout nouveau pour moi et il me manque le mode d'emploi qui va avec. Jusque-là, je me suis toujours trouvée trop moche pour me sentir concernée, mais avec mes quelques kilos en moins, ma nouvelle coupe de cheveux et le maquillage dans lequel j'ai investi, la donne a changé et je constate que cela biaise les échanges.

En tant que moche, tout est simple. Au pire, on est ignoré, au mieux, on nous colle le statut du bon pote à qui on confie ce que l'on n'oserait surtout pas raconter à une jolie personne. Je suis en train de découvrir qu'avec un peu de charme, on devient un être sexué. On bascule dans le jeu de la séduction. Séduire ou être séduite ! Pour l'instant, je manque totalement d'expérience pour passer à l'offensive, mais j'apprécie l'idée d'être séduite, toute proportion gardée. Je ne m'emballe pas. En faisant un peu plus attention à moi, j'ai mis en avant ma féminité. Pour autant, je ne serais jamais un top model. Juste une « Pas si moche que ça » et c'est déjà beaucoup pour moi. Je m'amuse donc de ce changement d'appréciation de mes interlocuteurs.

Maman a su trouver les bons arguments pour minimiser le désagrément de mon arrivée décalée. En l'observant user de son charme naturel pour mettre à l'aise, le docteur et son épouse, je réalise qu'elle a toujours eu une grande maîtrise de son image et qu'elle ne m'a jamais encouragée dans cette voie. Je n'ai fait preuve d'aucun mimétisme et je n'ai pas de souvenirs d'elle m'encourageant à suivre son exemple. Elle m'a laissé dans cette inconscience de mon image et de ce que je pouvais améliorer. Comme si elle n'en avait rien eu à faire. Le constat est désagréable. En même temps avec mon statut de moche, je me suis tenue à l'écart des frasques de la vie de jeune fille normale. Peut-être était-ce de cela que ma mère avait voulu me protéger ? Mais voilà, mon cœur a lâché et du même coup a pulvérisé la chrysalide dans laquelle je m'étais construite.

En maîtresse de maison aguerrie, elle a réussi à imposer une atmosphère conviviale, notamment en utilisant habilement son sens de l'humour. J'en suis même venue à baisser la garde, jusqu'au moment où la conversation a fini par s'engager sur le sujet tant redouté, la soirée du vernissage.

Alors que je ne m'y attendais pas, la remarque d'Aline de Bret débloque soudainement ma mémoire. La femme avec le bouquet de fleurs, que je vois dans mes rêves incohérents, est en face de moi. C'est aussi elle, que je vois dans un bar avec un homme. Et si je suis allée à l'exposition, c'est pour la surveiller. Ces découvertes me font vaciller. Les questions s'enchaînent. Si je la connais si bien, elle me connaît aussi certainement. Mais que sait-elle de moi ? Est-elle venue pour régler ses comptes ? Cette accumulation d'inconnues me fait perdre pied et me fait tourner de l'œil ou presque. Pour retrouver mes esprits, je demande un peu d'alcool. Ma mère emploie les grands moyens et m'amène un verre de whisky, que je bois d'une traite. L'effet est immédiat. Je sens la chaleur montée dans mes joues, mes membres retrouvent leur tonus, je me redresse sur mon siège.

En me voyant défaillir, le docteur s'est précipité vers moi. Constatant que je restais consciente, il a juste vérifié le rythme de mon pouls. Son intervention n'a duré que le temps de s'assurer qu'il n'y avait rien de grave. Mon rythme cardiaque est stable, il n'y a pas à s'inquiéter. Je fais mine de ne pas l'être et prétexte juste un étourdissement lié à ma fatigue de fin de journée, « Je me sens encore un peu fragile ».

Je me rappelle alors de la remarque de Madame de Bret sur ma présence à l'exposition. Je lui réponds en la regardant fixement, qu'effectivement je ne sais toujours pas ce que je faisais là-bas. Mon ton est suffisamment ferme pour signifier que le sujet est clos. Elle ne renchérit pas. Elle ne semble pas plus à l'aise que moi de toute façon. Elle parait tout aussi préoccupée que moi. Même si elle reste un mystère, elle ne me semble plus être une menace. Reste à comprendre pourquoi nos vies se sont croisées et je sens qu'il est préférable de ne pas chercher la réponse tout de suite.

Après cet incident, nous sommes tous au même diapason. Nous faisons tous semblant d'avoir déjà oublié ma mésaventure, alors qu'elle raisonne au fond de chacun de nous. Nous avons chacun nos raisons, mais la façon dont nous sur-jouons la bonne humeur, confirme que nous cherchons par-là, à cacher nos émotions. A force de paraître, nous finissons par nous convaincre et contre toute attente, nous retrouvons une ambiance sincèrement chaleureuse. Les échanges sont animés par ma mère et le docteur, et nous deux en bonnes spectatrices, nous nous laissons porter par leur bonne humeur. La soirée que j'avais tant appréhendée, se termine bien.

Après leur départ, je n'ai qu'une idée en tête, filer dans ma chambre, pour retrouver mon carnet où sont écrits mes rêves. Je prétexte être fatiguée et laisse ma mère ranger. Je sens bien qu'elle aurait voulu revenir sur l'incident de ce soir, mais je n'en ai pas envie. Je suis obnubilée par mes souvenirs retrouvés.

Une fois dans ma chambre, je récupère mes notes. Dans chacun de mes récits, la femme aux fleurs est en position de victime. Comme je sais maintenant que cette femme est Aline de Bret, j'ai la confirmation que je n'ai rien à craindre d'elle. Par contre elle est toujours associée à une femme menaçante. Je la décris comme une ombre oppressante. Après avoir relu ces informations, il me revient soudainement à l'esprit son intrusion dans ma chambre d'hôpital et notre rencontre dans la salle d'exposition. Tout reprend forme. C'est à cause d'elle si j'ai fait mes attaques. Ce n'est pas un rêve, c'est la réalité. Un autre souvenir refait aussi surface. Si tout est vrai, je lui ai volé ses papiers et ils sont chez moi. Je m'imagine mal avoir volé quoi que ce soit. J'en conclus que je n'en suis plus à une surprise près.

Je n'arrive pas à m'endormir. Mon cerveau est en ébullition. Je suis assaillie par des souvenirs qui me font osciller entre joie de retrouver ma mémoire et stupeur à l'idée de ce que j'ai vécu. Je ne comprends pas comment j'ai pu être mêlée à cette histoire. Au petit matin épuisée, ma raison m'amène à conclure que je ne peux plus faire machine arrière, il faut que je trouve des explications. Alors en début de matinée, sous prétexte de vouloir récupérer des vêtements, je me rends à mon appartement. Après un moment d'hésitation, je me rappelle où sont cachés les documents dérobés. Je les retrouve dans une boite de rangement en métal. Je l'utilise pour classer mes papiers administratifs. Ils sont en dessous des soufflets. Introuvables ou presque. J'ai donc bien commis un vol.

Et là, tout ce qui me manquait de mon passé proche refait surface. Je comprends que je n'ai été qu'une simple spectatrice de leur vie. Il me reste une seule inconnue, la raison de ce statut d'observatrice. Suivre des inconnus ne colle pas avec ma personnalité. La réponse ne doit plus être bien loin.

Rien ne peut m'arriverDonde viven las historias. Descúbrelo ahora