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Aline

La nuit dans notre superbe chambre n'aura pas été aussi longue que je l'aurais souhaitée. Après notre étrange, mais agréable soirée, nous nous sommes sagement endormis, nos ébats de l'après-midi nous ayant suffi. Elle a été en fait brutalement interrompue par l'appel de la police, pour nous signifier que notre fils était en dégrisement à l'hôpital. Dur retour à la réalité.

Au téléphone, le policier, certainement rompu à ce genre de coup de fil nocturne, a commencé par nous rassurer sur l'état de santé de Stan puis, factuel, nous a détaillé les circonstances. Nos voisins ont appelé pour tapage nocturne. Lorsque les forces de l'ordre sont arrivées sur les lieux, la joyeuse bande orchestrée par notre fils s'est dispersée. Constatant que Stan resterait seul dans la maison et au vu de son état d'ébriété avancé, ils ont décidé de le confier aux pompiers pour lui assurer une surveillance médicale. Notre fils est donc à « Récupérer » à l'hôpital et nos clefs au commissariat.

Cet imbécile a été incapable d'assumer la confiance que nous lui avions accordée. Arnaud a appelé l'hôpital pour confirmer les dires du policier. Depuis qu'il a raccroché, je sens bien qu'il se contient pour ne pas exploser. L'idée d'aller chercher son fils dans le service de son confrère l'a mis hors de lui. Je ne l'avais jamais vu dans cet état. Il essaye de faire bonne figure, mais je vois bien qu'intérieurement, il fulmine.

Le retour est pesant. J'essaye de détendre l'atmosphère en lui rappelant les bons moments passés hier, en lui proposant de réfléchir sur nos prochaines vacances. J'épuise tous les sujets qui me viennent à l'esprit, mais rien n'y fait. Il reste muré dans le silence. Je n'insiste pas plus, d'autant que son attitude m'intimide. C'est la première fois que je le vois emporté par une telle violence intérieure.

Cela fait bientôt cinq heures que l'on roule et la tension n'a pas baissé. Le seul avantage de cette situation est de nous permettre de faire le trajet du retour bien plus rapidement que celui de l'aller. Je me garde bien de rappeler à Arnaud qu'il ne respecte pas les limites de vitesse.

Lorsque nous arrivons dans sa chambre d'hôpital, nous retrouvons notre fils penaud. Son teint blafard confirme sa belle gueule de bois. Son père ne lui adresse pas la parole, lui préférant le personnel médical pour s'assurer de son état de santé. Il lui décroche juste un « Habille-toi, on rentre ». Il n'exprime aucune compassion malgré l'état faiblard de Stanislas. L'affront est bien trop grand. J'essaye de compenser en l'aidant à s'habiller et en le soutenant pour rejoindre la voiture, puis une fois garés dans la cour de la maison, pour atteindre le pallier de la porte d'entrée, monter les escaliers et lui permettre d'arriver jusqu'à son lit, sur lequel il s'écroule. Il se rappellera longtemps de sa première cuite !

Je suis tellement décontenancée par la situation que je n'arrive pas à porter de jugement. À constater l'état des différentes pièces, il y a de quoi sortir de ses gonds. Pourtant, sur le trajet du retour, a émergé le sentiment que tout était de ma faute. Mes absences. Cet argument tellement facile à placer « Il est grand maintenant » pour se défausser des contraintes de l'éducation de son enfant. Ne plus surveiller les devoirs, les fréquentations. Assouplir les horaires de sorties jusqu'à ne plus en donner, parce que notre fils nous dit que « Chez les autres, c'est comme ça ».

Se dédouaner de toute responsabilité de son fils parce que « Chez les autres c'est comme ça », quelle hypocrisie. Mon intérêt a toujours primé. Lui laisser la liberté qu'il me demandait, était un bon moyen pour me garantir la mienne.

A cet instant, je réalise que par ce choix égoïste, non seulement le temps que je n'ai pas consacré à mon enfant est irrécupérable, mais aussi, que le vide laissé par mes absences le met en danger. Mon fils a tiré la sonnette d'alarme.

En observant Arnaud déambuler dans le salon pour évaluer les dégâts, je réalise que je ne suis pas la seule responsable. Il a aussi sa part de responsabilité. Son aura ne fait pas tout. Il a toujours été à son chevet pour ses maladies infantiles, normal pour un Professeur en médecine ! Il l'a initié au tennis, au ski, aux échecs, normal pour un « Fils de » ! Mais à quel moment lui a-t-il raconté des histoires avant de se coucher ? Quand est-il est venu le chercher à la sortie de l'école ? L'a-t-il accompagné à ses activités extrascolaires ? Jamais. D'accord je n'ai pas fait beaucoup mieux. J'ai au moins eu le mérite d'avoir géré les filles au pair successives, dont la fonction à peine voilée était de suppléer nos rôles de parents. Je me sens misérable. Ma mère elle, a toujours été présente pour moi. Mon père aussi d'ailleurs. J'étais le centre de leur attention. Par leur omniprésence, leurs aspirations démesurées pour mon avenir et leurs actions limitées à leur condition sociale, oui, ils m'ont donnée envie de réussir, mais ils m'ont aussi donné envie de fuir. Stan, lui, n'a pas besoin de fuir, il a besoin, comme tout enfant, d'un cadre pour se construire et les repères que nous lui avons donnés jusque-là, sont si flous qu'il n'a trouvé comme issue, que le blackout pour s'évader d'une vie qu'il ne comprend pas.

Depuis mon « faux pas », j'ai beaucoup réfléchi sur mon parcours. Je n'ai jamais été aussi lucide sur ma vie. Je réalise pourtant, que je me suis bien gardé de faire le point sur mon rôle de mère. Le constat n'est pas glorieux et il m'encourage à revoir mes priorités. Et la première va être de consacrer plus de temps à mon fils.

Cette conclusion m'insuffle l'énergie nécessaire pour m'extirper du canapé, sur lequel je m'étais affalée en voyant le niveau de saleté dans la pièce. L'alcool a coulé à flots dans les gosiers, mais pas seulement. De multiples traces collantes laissent augurer quelques heures de nettoyage. Je me mets au travail, motivée par la volonté de dédouaner Stan. Son acte n'est que la conséquence de notre manque d'investissement parental. Cela ne se produira plus. Je vais m'efforcer d'être une mère présente et le moment venu, je le rappellerai aussi à Arnaud.

Pour l'instant, il n'est pas dans les dispositions pour écouter un réquisitoire en faveur de son fils. Il rumine l'affront. Tel Achille, il se pensait invulnérable. Cet appel de la police, lui a fait découvrir que son fils était son talon. Or, s'il n'attache aucune importance aux fastes, il ne conserve pas moins une haute estime de lui-même et la vulnérabilité ne fait pas partie de son vocabulaire. Il s'est toujours considéré dispensé de cette faiblesse. Jusqu'à cet appel de la police, qui lui a fait réaliser qu'il avait oublié de programmer son fils au même dessein. Par son inconsistance, Stan a porté atteinte à son honneur.

En voyant sa réaction face à l'écart de conduite de Stan, je mesure à quel point il lui est impossible d'accepter une quelconque trahison. Et la mienne est loin d'être quelconque. S'il apprend la vérité, même la mort ne pourra me protéger !

Rien ne peut m'arriverWhere stories live. Discover now