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Aline

Elle est devant moi. J'ai attendu ce rendez-vous atone. Je n'ai de toute façon pas suffisamment d'énergie pour vivre autrement cette journée. Je suis arrivée tard au travail.

Ce que j'ai vécu la veille a été éprouvant, mais a eu pour corollaire de me permettre de dormir sans somnifères. Je reste épouvantée d'avoir pu imaginer mettre fin à mes jours. Je suis sous le choc d'avoir découvert cette dimension de ma personnalité si fragile, moi la conquérante. Face à cette réalité, hier soir, je suis allée me coucher sans chercher le sommeil. Il me semblait trop proche de la mort. Après un long combat, il a gagné et m'a amenée à un réveil tardif. Je n'avais pas aussi bien dormi depuis une éternité. La nature est bien faite, elle nous anesthésie quotidiennement pour nous soulager l'espace de quelques heures de l'absurdité de la vie.

Ma vie ! Cette ascension que je me suis préfigurée encordée à Arnaud, pour la réussir. Pourtant aujourd'hui j'ai des doutes sur mon premier de cordée, il me faut d'urgence trouver d'autres points de sécurité, pour me protéger de la chute.

Mon assistante vient d'introduite Sybille dans mon bureau. Elle s'assoit en face de moi avant même que je ne l'y convie. Je la trouve moins jolie que la dernière fois, elle est redevenue banale.

Alors que je n'ai encore rien dit, elle donne le ton en démarrant la conversation. Elle s'enquiert de ma santé. N'ayant nullement l'intention de partager ce sujet avec elle, je lui réponds qu'elle n'est certainement pas venue jusqu'ici pour prendre de mes nouvelles. Son visage reste impassible malgré l'arrogance de mon ton. Toujours figée dans la position qu'elle a prise en s'asseyant, elle reprend la parole et m'impose de fait un statut d'auditrice.

Elle me déroule toute l'histoire liée à notre rencontre. Elle m'informe aussi avoir des espèces de flash et ne pas pouvoir expliquer ce phénomène encombrant. C'est en ayant eu une vision de moi, flottant dans le néant qu'elle a ressenti ma très grande fragilité. Pourquoi moi ? Elle ne le sait pas. Elle s'est alors rappelée avoir notre numéro privé et l'a composé pour se confirmer que cette pensée n'était que le fruit de son imagination. Elle était persuadée que personne ne répondrait. Contre toute attente, j'ai pris l'appel. En entendant le son de ma voix, elle a compris que je n'étais pas au mieux de ma forme, ce qui a validé sa prémonition et l'a mise dans une situation embarrassante. Elle n'avait absolument pas prévu de me parler. La seule idée qui lui est alors venue à l'esprit, a été de me dire qu'elle voulait m'expliquer l'objet de sa présence à la galerie. Sans réfléchir, elle a fait d'une pierre deux coups. Elle a trouvé un argument pour se justifier et il était assez énigmatique pour attiser ma curiosité, espérant ainsi me détourner de mes pensées mortifères.

Fin de l'explication. Je comprends que son récit est terminé parce qu'elle détourne soudainement le regard qu'elle avait maintenu sur moi jusque-là.

Sans le moindre égard, elle vient de me faire comprendre comment elle est arrivée dans ma vie. Simplement par hasard ! Par hasard, elle m'a vue me faire piéger par Yvan dans le bar. Par hasard, elle a volé les papiers de la complice d'Yvan. Par hasard, elle a pris connaissance de mon expo. Et presque par hasard, elle a été soignée par Arnaud.

Pour bien enfoncer le clou, elle conclut que je suis une victime et par hasard, elle en a été la témoin. Rajoutées à cela ses visions, ne pas intervenir l'aurait mise en position de « Non-assistance à personne en danger ». Son destin ne lui a pas laissé le choix. Elle est soulagée de m'avoir parlé. Elle sait que pour moi le problème est loin d'être résolu, mais je peux compter sur elle.

Elle ne manque pas d'aplomb. Cette petite bonne femme, stoïque sur son siège, va être la pastille Valda pour faire passer mon adultère auprès d'Arnaud.

Je doute un instant du désintérêt de sa démarche. Elle aussi veut peut-être me faire chanter ? En même temps, son allure de petite fille sage m'incite plutôt à avoir confiance. En tout cas, il est clair maintenant que Marion est bien la maîtresse d'Yvan et que Sybille n'a rien à voir avec ce piège dans lequel je suis tombée.

En l'observant, se ravive cette idée dérangeante d'ange gardien. Elle est venue de nulle part. Il est évident que sans elle, j'aurais avalé ces somnifères, que grâce à elle en allant lui rendre visite chez sa mère, j'ai certainement passé mon dernier meilleur week-end en amoureux avec Arnaud et que par ses informations, je confirme les protagonistes de ma mésaventure. Pourtant, je ne peux m'empêcher de la considérer comme une intrigante. Elle n'a fait preuve d'aucune émotion. Je n'ai pas envie d'avoir besoin d'elle. Elle est le miroir de mes faiblesses. Et puis je ne peux pas faire confiance à la banalité.


Rien ne peut m'arriverWhere stories live. Discover now