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Aline

Je suis Icare. Je suis le papillon de nuit irrémédiablement attiré par la lumière. Je ne peux plus faire machine arrière. Le couperet va tomber quelle que soit ma décision. Ce jugement, sanction de mon égarement. J'ai juste le choix du tribunal. Celui de mes parents me renvoyant à la trahison de mes origines ou celui de mon milieu social par alliance, me signifiant que la mascarade est terminée.

Avec un soupçon de plus de discernement, aurais-je pu atteindre l'indifférence qu'il m'aurait fallu maîtriser en croisant Yvan sur ces gradins ? Cela s'est certainement joué à pas-grand-chose. D'autres ont réussi là où je me suis pris les pieds dans le tapis. À mon détriment, mon tapis aura été Arnaud. Comment en aurait-il pu être autrement ? En me choisissant comme épouse, il y avait forcément eu « Anguille sous roche ».

Le déclic a été les cinq cent mille euros. Je croyais tout connaître de lui, avoir tout partagé avec lui, notamment les finances de notre ménage, mais Yvan m'a fait comprendre que cette « Coquette » somme venait certainement d'un paradis fiscal. Arnaud lui a précisé lorsqu'il a accepté de payer, qu'il n'existerait aucune trace de leur transaction et qu'il n'avait pas intérêt à en vouloir plus.

Derrière son masque de vertueux praticien, combien de comptes offshores possède « Le bon Docteur » ? D'où vient cet argent ? L'a-t-il détourné de la fondation pour s'enrichir ? Quoi d'autre m'a-t-il caché ? Et puis quel montant a-t-il prévu de me verser pour s'assurer de mon départ ? A combien m'estime-t-il ?

Yvan dort. Sa respiration est bruyante et irrégulière. Notre dîner frugal a consisté à manger des barres de céréales. Comme moi, il s'est allongé sur le lit sans prendre la peine de se déshabiller. Nos deux carcasses l'une à côté de l'autre n'ont plus rien de glorieux. Il s'est couvert avec le dessus-de-lit. Il n'est plus menaçant.

Ce constat qui aurait dû me soulager, au contraire, me révolte. En fait, s'il peut dormir aussi paisiblement à mes côtés, c'est parce qu'il est confiant . Il me sait prise au piège et que je n'ai pas d'autres issues que de rester avec lui.

Il a toujours eu un coup d'avance. Je me suis fourvoyée, mais lui n'a pas changé. Que serait devenue ma vie si je ne l'avais pas quitté ? Je n'aurais certainement pas fait mieux. J'aurais probablement même fait pire, parce que je n'aurais pas eu d'enfant. Nos comportements étaient bien trop autocentrés pour que nous puissions imaginer porter notre attention sur un autre être que nous-mêmes.

En le fuyant, je suis devenue mère. Stanislas est le plus beau cadeau que la vie m'ait offert. Il est le phare au milieu de la tempête, que je suis en train de traverser. Mon fils. Même si son regard va changer en apprenant notre séparation, je n'en reste pas moins sa mère. Il est la seule personne pour qui mes sentiments resteront indéfectibles. Il me mettra certainement à l'épreuve, mais je ne lâcherai pas. Il ne me reste plus que lui. Ni Yvan, ni Arnaud n'arriveront à détruire mon lien avec Stan. Apaisée d'avoir cheminé vers cette conclusion, je m'endors.

Le réveil est brutal. Quelqu'un frappe à la porte. Ma tête est tellement douloureuse. Mon corps tout entier endolori. Me mouvoir est difficile. Étonnamment, Yvan ne semble pas dans de meilleures dispositions. Les coups sur la porte se font plus insistants. Je ne sais pas quelle heure il est. En me fiant à la lumière qui filtre sur les côtés du rideau occultant, il doit être déjà assez tard.

Il émerge enfin, s'extirpe du lit et va ouvrir. Une furie entre dans la chambre. Marion ! Encore elle. Elle est stoppée net dans son élan en me voyant. Son arrêt est de courte durée. Son regard passe rapidement de la stupéfaction à la colère. Elle se poste devant le lit. Yvan la rejoint. Il est sur la défensive, toujours amorphe. Je la retrouve telle que je l'avais connue dans le hall de son immeuble et je sais de quoi elle est capable. Me sachant diminuée, je me sens extrêmement vulnérable face à elle.

J'ai toujours plus impressionné que je n'ai été impressionnée, mais j'ai aussi toujours su reconnaître les personnalités incontrôlables. Des personnalités à éviter à tout prix, pour surtout, ne pas me retrouver enfermée dans une chambre ou dans un ascenseur avec elles ! Et si j'ai eu la chance que tout se termine correctement la dernière fois, là, la situation semble beaucoup moins bien engagée. Le niveau de surprise n'est plus du tout le même. En retrouvant Yvan dans cet hôtel, elle a la confirmation qu'il avait décidé de fuir avec le pactole, sans elle. Par conséquent, elle est obligée d'admettre qu'il l'a manipulée depuis le début et comble de la surprise, en me voyant avec lui, elle pense que je suis sa complice.

Marion se tourne vers Yvan :

« Depuis quand cette salope est dans la boucle ?

— Elle n'a jamais été dans la boucle. »

Je le regarde s'asseoir sur le fauteuil près de la fenêtre. Je suis étonnée qu'il n'ait pas cherché à lui barrer le chemin.

Elle répond :

« Ah oui ? Comme tu n'as jamais été viré !

— Alors ça y est, ça se sait ! J'avais pourtant demandé à Tolezi d'attendre lundi prochain pour en parler. J'en étais sûr qu'il ne tiendrait pas sa parole cet abruti. Enfin bon, qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Que tu mérites quelqu'un de mieux que moi ! De plus friqué que moi ! C'était pour ça que je t'intéressais, non ?

— Pauvre type ! »

Après quelques secondes à nous observer, moi sur le lit, lui effondré sur le fauteuil, elle reprend :

« Je ne sais pas ce qu'elle t'a fait ta salope, tu as vraiment une sale gueule. Remarque, elle aussi ! Finalement, je n'ai pas perdu grand-chose. »

Son attitude change soudainement. Elle devient étrangement calme. Il ne me faut pas longtemps pour réaliser ce qu'elle manigance. Je suis allongée sur le côté droit du lit. Yvan a laissé sa besace sur la table de nuit à gauche du lit, celle proche de la porte d'entrée et face à Marion. En interceptant son regard dans la direction de la table de nuit, je comprends son intention, je ne dis rien, laissant le piège se refermer sur Yvan.

De toute façon, si j'ai pu deviner son plan, il l'a aussi découvert et il saura retourner la situation. Il y a peu à parier qu'il se fasse berner aussi facilement, même s'il parait loin de ce qui est en train de se tramer.

« Comment tu as retrouvé ma trace ? » demande-t-il laconiquement.

« L'erreur du débutant mon cher Yvan ! Je ne te cache pas qu'hier, j'ai été plutôt surprise d'apprendre que tu avais été lourdé, moi qui jusque-là était morte d'inquiétude à cause de ton silence. Et devine qui me l'a appris ? ».

Elle n'attend pas de réponse de sa part, elle savoure juste d'attiser sa curiosité.

« Et bien, c'est notre collègue de la compta ! Tu sais la nouvelle, avec laquelle tu as été odieux. Elle m'a mise dans la confidence. Tolezi avait bien insisté sur le fait qu'elle ne devait pas parler de ton licenciement avant son retour de vacances, mais elle savait aussi que je n'avais plus de nouvelles de toi. Et elle était trop contente de pouvoir m'expliquer ton absence. C'est grâce à elle, que j'ai compris que tu m'avais bien bernée, que tu m'avais menti sur toute la ligne. Alors j'ai eu l'idée de lui demander de me montrer les relevés de ta carte bancaire professionnelle. Elle aurait certainement refusé dans d'autres circonstances, mais elle te déteste tellement qu'elle l'a fait avec plaisir. Je n'étais pas sûre de ce que j'allais trouver, et là bingo ! Jusqu'au bout mesquin ! Tu t'es fait bêtement piéger. Si tu avais utilisé ta carte personnelle, je n'aurais pas vu ton règlement pour cet hôtel paumé. Je ne t'aurais jamais retrouvé. Et pour gagner quelques euros, tu vas tout perdre ! »

A peine sa phrase terminée, elle s'est jetée sur le sac et s'est précipitée hors de la chambre. Le temps qu'Yvan comprenne son geste, il était trop tard, elle était déjà loin.

Rien ne peut m'arriverحيث تعيش القصص. اكتشف الآن