Chapitre 15; Part 1

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ADE

     J'ai passé l'après-midi avec Cirkel et des filles des quinze. On est allées aux Arceaux avant de tenter une sortie au centre-ville qui nous a été refusée. On est obligé de rester à l'intérieur du bâtiment jusqu'à la fin de nos contrats. Ce n'est qu'à ce moment-là que nous pourrons sortir à l'extérieur revoir la lumière du jour. Le soleil me manque, passer plusieurs mois sans le voir va devenir critique. On nous conditionne pour rester concentré sur la formation mais nous interdire de sortir est vraiment compliqué à gérer. Je crois que ce qui me manquera le plus est le vent. Celui de la mer, chargé en iode, frais, revigorant. J'aime beaucoup cette odeur, c'est vraiment celle de ma maison. J'aimerais pouvoir sortir pour m'assurer que ma grand-mère va bien, ce n'était pas la grande forme en partant et je ne lui ai laissé qu'un petit sachet de plantes. Je n'ai pas pu m'en procurer d'autres à temps... Je laisse retomber ma tête contre le poteau auquel je suis adossée. Elle va bien, elle sait se débrouiller. Ça va aller.

     Je suis perchée aux Arceaux, la jambe dans le vide, appuyée de tout mon poids sur la rembarre. Cirkel et les autres sont partis au bar pour commencer leur soirée. Le soleil n'est pas encore couché, je peux voir ses rayons se refléter sur la verrière du Prétoire. J'ai envie de le voir. Si on ne peut pas sortir je vais trouver un autre moyen.  

     Je remonte les salles de combats pour accéder aux ascenseurs. Ils montent jusqu'aux quarante-sixième étage, j'y vais. En haut, je tombe sur un hall sans personne. Très bien. Je cherche d'autres escaliers ou un local technique qui pourraient déboucher sur le toit. Je ne trouve qu'une plaque vissée au mur avec l'inscription « issue de secours, à n'emprunter qu'en cas d'urgence ». De mon point de vue c'est une urgence, ça dépend de chacun. Il suffit de pousser la barre transversale pour ouvrir la porte, mais je suppose que si je pousse cette porte, un alarme va ameuter tout le monde. Mais pour la désactiver il faut que j'aille au poste de sécurité, donc non. Il faudrait que je mette un objet dans la fente pour leurrer le signal. J'examine les alentours mais ne trouve rien de bien costaud qui pourrait s'insérer dans la fente. Je fouille mes poches mais je n'ai que des petits couteaux. La lame n'est pas bien épaisse ceci dit. Je m'arme de courage et place la pointe contre la porte. Je pose ma main sur la barre et pousse. La porte s'ouvre sur un petit escalier.J'attends quelques secondes qu'une alarme se déclenche mais pas un bruit. J'en profite pour refermer soigneusement la porte et récupérer mon arme. J'enjambe les marches pour tomber sur une nouvelle porte, en y regardant de plus près, je doute qu'elle soit reliée à une alarme. Je dépose ma main sur la poignée, l'abaisse et pousse.

*

     Quelques mèches se coincent dans mes cils, certaines se collent à mes lèvres. La brise me caresse le visage, me rafraîchit, apaise ma peau de la chaleur du soleil. Mes mains s'enfoncent dans les gravillons frais. J'entends le sifflement des herbes qui ont poussé ici là. De cette hauteur je peux voir toute la ville. Et surtout la mer. Bien loin, tellement éloignée. On la voit lorsqu'on est au port mais ce n'est jamais qu'un port de pêche où l'eau salée est amenée par un canal gigantesquement long. Mais là c'est la première fois que je peux apercevoir la mer. Ses vagues, son scintillement avec les rayons du soleil, son écume blanche qui dépose sa mousse. De la ville il faut bien compter six heures de marches pour atteindre les premiers grains de sable, alors que vu d'ici elle paraît si près qu'il suffirait de tendre les bras pour la toucher. Cet endroit est reposant. On est loin des combats, du classement, des simulations ou de tout ces gens. Je me remets sur mes pieds pour avoir un meilleur angle de vue. Mon quartier est au sud du centre-ville, peut-être vers l'ouest. Je pivote sur ma droite vue l'orientation de la tour dans la ville. Je n'arrive pas à me repérer. D'ici tout est différent, j'ai l'impression que les rues ont bougées, que les quartiers ne sont plus au même endroit... Je cherche un point de repère d'où je pourrais commencer à chercher ma maison. Je trouve le canal, il me suffit de le suivre pour trouver le port. Une fois la cabane de Sergail en vue, je remonte six rues pour tomber sur un amas de maisons sur une butte. Je la vois. Toute recroquevillée entre ces habitations. La toiture en taule d'où pendent des fils électriques. D'ici elle a l'air pareille à celle que j'ai quitté. J'aimerais pouvoir mieux la voir. Un sentiment de nostalgie m'emplit le cœur, mon quotidien me manque. Ma vie d'avant me manque. J'ai l'impression d'être prisonnière ici. On ne peut pas sortir, pas voir notre famille, rester tous les jours avec du monde, des inconnus. Ma gorge se serre. J'aimerais rentrer chez moi.

     Les gravillons se répercutent les uns sur les autres, le bord se dessine plus clairement. J'arrête mes pieds devant un garde-fou. Je jette mon regard au-dessous de moi. La ville paraît si immense du toit mais si petite d'en haut. Une ville de fourmis, les gens grouillent au pied de la tour. Les beaux quartiers sont pleins de monde, de voitures, de végétations. Les maisons paraissent bien petites. Je ne me sens pas prise de vertige, je pensais tourner de l'œil en regardant le bas mais c'est la première fois que je monte aussi haut quelque part. Je suis plus admirative de la vue. Complètement obnubilée par elle. Le vent s'engouffre dans mon t-shirt me faisant frisonner. Comment des gens peuvent arriver à se lancer dans le vide ? Comment moi je ferais lors des descentes ?

     Des mains s'agrippent à ma taille et me poussent vers la barre de sécurité. Je sursaute à l'impression de tomber dans le vide. J'enserre fermement la barre pour ne pas tomber mais la personne derrière moi me tire contre elle en riant. Je me retourne violemment en le voyant.

- T'es vraiment con Caden !

     Il éclate de rire en tapant dans ses mains. Mon rythme cardiaque se régule. J'ai vraiment cru que j'allais tomber à la renverse.

- Tu me suis ou ce n'est qu'une idée ?

- T'aurais dû voir ta tête... Te penche pas si près si tu as peur de tomber. On m'a informé qu'une de mes recrues était sur le toit. Comme on ne savait pas si tu voulais sauter ou quoi j'ai dû monter. En tant qu'instructeur. Merci au passage, j'étais au pieu avec une charmante fille...

- Non mais c'est bon, pas besoin de me raconter ta vie... Non je ne comptais pas sauter, et t'es un enfoiré : ça fait vingt-cinq minutes que je suis sur ce foutu toit !

- Quand j'ai vu que c'était toi, je ne me suis pas pressé en effet. Pourquoi t'es monté sinon ?

- Vous nous interdisez de sortir. C'est interdit de monter sur le toit aussi ?

- Non a priori. Tu devrais redescendre maintenant, personne n'est vraiment autorisé à monter.

- Génial. J'ai plus qu'à aller me soûler au bar pour passer le temps.

     Je lève les bras au ciel pour manifester mon désarroi. On ne peut même pas monter sur le toit voir la vue, être dehors ne serait-ce qu'un peu. Cette formation est à chier. Je quitte le toit pour regagner les ascenseurs et retourner sous terre.



L'Organisation [ TERMINÉE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant