Réclamations

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C'était un sacré brouhaha dans la salle d'audience du tribunal où les 108 spectres étaient rassemblés. Chacun parlait et personne n'écoutait son voisin. Tous avec quelques réclamations à faire et qui n'avait en fait qu'une seule et même origine : Kanon. Celui qui avait usurpé la place de leur seigneur se baladait tranquillement, sans un vêtement sur le dos, dans tous les Enfers. Si ce n'était que ça encore ! En plus, il les empêchait de faire leur travail ! Les trois juges tachaient tant bien que mal de calmer les esprits qui s'échauffaient sérieusement. Ils avaient beau expliquer qu'ils étaient comme eux, qu'eux non plus n'acceptaient pas cette situation et qu'ils la subissaient tout comme eux, les spectres ne voulaient rien entendre. Et malgré l'assurance des juges avec qui ils essayaient de discuter du problème, les spectres continuaient leurs réclamations, ils craignaient que le bleuté ne soit pas tellement réceptif à leurs réclamations.

- Et tu sais quoi, Queen, bah, t'as raison ! J'suis pas réceptif à vos réclamations. Mais alors, pas du tout.

Le silence se fit subitement dès les premiers mots. Et après quelques secondes à rester hébétés, les spectres tournèrent les uns après les autres la tête vers l'objet de leurs réclamations. Toujours sans un vêtement sur le dos, Kanon était assis en tailleur à même la pierre froide, le coude posé sur son genou, il avait posé son menton sur sa main. Les spectres qui jusque là étaient à ses côtés s'éloignèrent de quelques pas, laissant à leur ennemi autant de place qu'ils pouvaient lui faire. Kanon ne les regarda même pas. Il ne fixait personne en particulier mais tous avaient maintenant les yeux tournés vers lui.

- Bah alors, reprit Kanon. Vous n'avez plus rien à dire ?

En effet, ils avaient tous perdu leur langue. Ils n'osaient plus rien dire, saisis de ne pas l'avoir entendu arriver. Il aurait pu tuer une bonne partie d'entre eux avant même que les spectres ne s'aperçoivent de sa présence. Même les trois juges ne l'avaient pas senti venir.

- Tu pourrais peut-être commencer par d'habiller, finit par lui dire Rhadamanthe.

Kanon se redressa sans pour autant se lever. Il posa ses bras sur ses genoux et fixa la Wyverne droit dans les yeux.

- Et ben figures-toi bien qu'un imbécile à brûler mes fringues !

- C'était des loques ! se défendit Eaque en faisant quelques pas vers Kanon. Tu ne pouvais pas continuer de porter ça ! Pas ici ! Et je t'ai apporté d'autres vêtements.

- Une chemise de nuit pour grand Pope ! répliqua Kanon sans relever le fait que le juge n'avait pas fait mention de l'ordre reçu de Perséphone, endossant ainsi toute la responsabilité de son acte.

Le bleuté se leva pour se diriger vers les juges, provoquant un mouvement de recul, instinctif sans doute, des autres spectres. Eaque serra les dents envoyant Kanon s'approcher de lui. Il avait déjà vu se battre avant qu'il ne devienne un dieu, même sans armure l'ancien chevalier des Gémeaux était puissant. Et maintenant il était une divinité, le Garuda ne tiendrait pas une fraction de seconde si le nouveau seigneur des Enfers décidait de frapper. En résumé, Eaque n'en menait pas large.

- Tu obéis à Perséphone ? continua Kanon de façon à ce que seul Eaque entende. (Hochement de la tête du Garuda avec un avalement difficile de salive. Le bleuté reprit à voix haute). Bien, alors dégage.

Eaque resta sidéré. Lui ? Viré ? Mais c'était impossible ! Il ne pouvait pas faire ça ! Il était l'un des trois juges ! C'était inconcevable ! Il ne pouvait pas se passer d'un juge ! S'il y en avait trois, ce n'était pas pour rien. Plus que n'importe quel autre spectre, les juges étaient indispensables aux Enfers. Indispensables et indissociables de ces lieux. Comment ferait-il avec seulement deux juges ? Cependant, Eaque resta silencieux. Il était hors de question pour lui de perdre la face devant tous les spectres. Sa fierté avait été suffisamment maltraitée comme ça. Inutile que les autres le sachent.

- Et pourquoi ? demanda le Garuda d'un ton qu'il aurait vraiment voulu plus indifférent.

- Pour autant que je sache, Eaque, commença Kanon en s'approchant du juge, c'est moi qui dirige ces lieux. Donc, tu aurais dû me demander avant de cramer mes fringues et de vouloir me déguiser en Pope.

Maintenant, Kanon été vraiment très près du juge mal à l'aise cette proximité, due en grande partie à sa puissance mais également à la nudité de l'homme en face de lui. Kanon resta un instant silencieux, avant de chuchoté à l'oreille du Garuda.

- A moins que tu ne préfères expliquer aux spectres comment vous n'avez rien fait pour ce monde parce que vous n'avez pas cru en la victoire. Ou comment ta chère Perséphone a carrément refusé de prendre la suite d'Hadès. Et comment j'en suis arrivé à me retrouver maître des lieux.

- Les spectres ne te croiront jamais, rétorqua Eaque de la même façon.

- Tu veux qu'on essaie. Parfois le doute, c'est pire que tout. Es-tu sûr que leur fidélité est à toute épreuve.

Une fois terminé, Kanon s'éloigna de nouveau du Garuda. Mais celui-ci n'en avait pas tout à fait terminé.

- Laisse-moi corrigés mon erreur. Laisse-moi de trouver des habits.

Kanon s'était immobilisé à un instant. Bien sûr, ils savaient tous les deux que ce n'était pas cette erreur-là que le Garuda voulait rectifier. Du moins selon Kanon. Parce qu'à leurs places, l'ancien chevalier se sentirait vraiment honteux d'avoir pour ainsi dire abandonné le combat.

- Le seigneur Hadès m'en aurait donné une dernière, continua Eaque.

- Seulement, je ne suis pas Hadès.

Le nouveau seigneur des Enfers se tut un instant pour bien laisser aux autres spectres le temps de saisir le sens de ses paroles. Puis, il reprit :

- Cependant, je te laisse une semaine pour retrouver quelque chose de mieux que la robe de chambre popale.

Il s'éloigna du juge resté silencieux avant de rappeler que celui qui n'était pas content pouvait toujours partir. Il ne retenait personne. Ah, autre chose, il n'y aurait plus de jugement d'âmes non plus jusqu'à ce que Kanon mette le nez dans les lois. Murmures désapprobateurs dans l'assemblée. Et aussi, il interdisait la maltraitance sur les âmes damnées et avant que les protestations ne s'élèvent comme quoi Hadès les avait toujours laissé faire, Kanon rappela encore qu'il n'était pas Hadès et que les spectres pouvaient toujours partir s'ils n'étaient pas contents. En plus, il n'était pas certain que son prédécesseur avait toujours su tout ce qui se passait dans les Enfers.

- Et une dernière chose, je veux voir tous les surplis à la Giudecca d'ici à ce soir.

- Les surplis sont à nous, intervint Minos en s'avançant d'un pas, ils nous sont acquis.

Tiens, il savait encore parler le Griffon. Kanon ne l'avait pas entendu depuis... qu'ils étaient passés par l'inter-dimension pour aller réveiller Perséphone, lui semble-t-il. Celle-là, il aurait mieux fait de la laisser dormir !

- Les surplis appartiennent à ce monde, reprit Kanon, et rien n'est acquis. Si vous les voulez, il faut rester et les mériter. (Et avant que les contestations ne s'élèvent, il continua :), et si il y a des réclamations, notez-les dans le cahier.

- Quel cahier ?

- Bah, celui que Rune va mettre en place.

- Quoi !? Mais je n'en pas !

Et les livres, lui rétorqua alors Kanon, avant qu'ils soient remplis de la vie des gens, il fallait bien qu'ils soient vierges ! Alors l'un d'entre eux ferait parfaitement l'affaire pour un cahier de doléances ! Le Balrog, à moins qu'il ait une objection à faire, serra les dents sans prononcer un mot, face à Kanon, il ne faisait pas le poids. Il baissa le regard en marmonnant un "je m'en occuperai".

- Parce que tu vas tenir compte de nos réclamations ? lui demanda Rhadamanthe, toujours aussi droit.

- Pas réceptif, lui rappela Kanon en se dirigeant vers la sortie. Mais vous pouvez quand même les faire.

Le sourire de KanonWhere stories live. Discover now