Le cahier

103 16 34
                                    

Debout les mains dans le dos, Christer restait immobile devant le bureau du doyen. Il serrait les dents aussi bien que les poings malgré la douleur qu'il ressentait à l'un d'eux d'avoir autant frappé. Il ne se faisait aucune illusion, la sanction, elle serait pour lui. Il avait pourtant juste voulu récupérer son cahier.

- Vous êtes dans l'une des plus prestigieuses universités. Vous êtes ici pour étudier. Non pour vous comporter comme un gamin de six ans.

Christer planta son regard presque mauve dans celui du doyen. Une prestigieuse université ? Le jeune homme avait bien entendu ! Il avait été déçu de la qualité des cours dispensés ici, comme des professeurs. La seule chose qu'il y avait de bien ici, c'était la bibliothèque dont Christer se servait pour préparer ses propres cours. Et rien d'autre.

Le doyen écoutait effaré ce jeune effronté descendre son université. Qu'est-ce qui lui permettait de parler ainsi ? Il avait beau être l'un des meilleurs étudiants qu'il ait jamais vu, ce n'est pas une raison ! Son comportement était des plus inqualifiables. Battre un camarade comme il l'avait fait ! Le pauvre garçon était défiguré. Il avait le nez cassé, sept points de suture aux arcades sourcilières, quatre à la gauche, trois à la droite et la mâchoire fracturée.

- Fracturée, reprit Christer d'un ton glacial, seulement. Je n'ai pas frappé suffisamment fort alors.

- Pas assez... balbutia le doyen puis, il reprit contenance. Comprenez bien que vous ne pouvez plus rester parmi nous.

Le jeune homme s'en doutait. Il avait seulement voulu reprendre son bien et c'était lui qui était viré !

- Je ne comptais pas rester parmi des gens qui ne respectent pas les biens d'autrui, mentit à moitié Christer. Je suis juste venu récupérer mon cahier.

- Quel cahier ? Il n'y avait aucun cahier.

Le jeune homme serrait les dents en fixant encore un instant le doyen. A cause d'un abruti, il avait perdu son précieux cahier. Jamais il ne pourrait se souvenir de tout ce qu'il avait noté !

Christer était sorti du bureau du doyen avec toute la dignité dont il était capable au vu de l'état d'énervement dans lequel il se trouvait. S'il avait su qu'il ne récupérait pas son cahier à rêves, il aurait frappé plus fort et plus longtemps. Et ce crétin n'aurait pas eu que le nez cassé !

- Quoi !? Qu'est-ce que tu veux ? s'emporta Christer en se tournant brusquement vers ce type qu'il appelait avec insistance.

- Je veux juste te parler un instant, lui dit calmement Eirik.

- Moi aussi.

Christer n'avait pas eu le temps de répondre et Eirik s'était figé en reconnaissant la voix de son père. Les deux jeunes hommes se fixèrent un instant puis Christer s'apprêta à s'éloigner. Il avait suffisamment de ses problèmes, il n'avait pas besoin de ceux des autres. Mais Eirik le retint par la manche. Son père enchaîna sans se préoccuper de ce jeune homme que retenait son fils. Si ce dernier voulait se faire descendre devant son copain, ce n'était pas son problème. En effet, il était furieux contre son fils. Il pensait avoir été suffisamment clair : Eirik devait arrêter ses conneries ! Le jeune homme fixa sur le Smartphone que son père lui montrait, l'un de ses profils récupérés de justesse grâce à Allan et Rajiv. Il écoutait vaguement son père lui dire qu'il devrait se débrouiller, que désormais il n'aurait plus rien de sa part.

- Et bien au moins, je n'aurai plus à voir ce psy débile qui a plus besoin d'un psy que moi, conclut Eirik en regardant son père s'éloigner.

Christer avait assisté à la scène en silence puis, il s'était dégagé pour s'éloigner de ce type visiblement déséquilibré. Mais Eirik le rattrapa rapidement.

- Il faut absolument que tu viennes avec moi, lui dit Eirik en lui barrant le chemin puis, en voyant la mou du jeune homme, il continua. Tu es comme moi, tu n'as plus rien à perdre.

- Je ne suis pas suicidaire, l'informa Christer.

- Mais moi non plus.

Christer soupirait intérieurement. Mais que lui avait-il pris d'accepter ? Alors qu'il devait retrouver l'autre crétin pour récupérer son cahier et éventuellement lui remettre son point dans la figure, histoire de lui casser la mâchoire cette fois. Et au lieu de ça, il suivait un type que son père venait de renier jusqu'à un petit hôtel à la périphérie de la ville. Eirik entra dans une chambre juste après avoir frappé et sans même attendre de réponse.

- Ah quand même ! s'exclama à un étranger en voyant Eirik pénétrer dans la chambre. On attend depuis un moment !

- Allan ne fera pas la traversée, aujourd'hui, répondit Eirik en faisant entrer Christer sous les regards étonnés de ses deux amis.

Allan et Rajiv se dévisagèrent un moment après avoir détaillé le nouveau venu.

- Je peux savoir ce qu'il fait là ? demanda le blond d'un ton casant sans pour autant se lever du lit sur lequel il était assis. Tu ne devais en parler à personne.

- Mais lui, répondit Eirik en souriant, il nous suit, c'est obligé. Alors tu fermes les yeux et tu écoutes.

Tous le regardèrent surpris sortir un petit cahier et le nouveau venu s'indigna avec force. C'était son cahier et il voulait le récupérer. D'un geste brusque, Christer arracha son trésor des mains d'Eirik qui le laissa faire, sachant très bien de quoi était capable le jeune homme pour ce cahier.

- Nous en avons besoin, plaida Eirik en libérant de nouveau le passage.

« Ah bon » s'étonna mentalement Rajiv qui, comme Allan, ne comprenait pas quel intérêt pouvait avoir ce cahier.

- Il est à moi ! rétorqua Christer en plantant un regard dur dans celui d'Eirik.

- Je sais. On a juste besoin des descriptions. Ecoute, tu nous lis un passage, celui que l'autre abruti a lu... (puis il rectifia envoyant la tête du jeune homme se décomposer) le premier passage. Si tu n'es pas convaincu, tu repars avec ton cahier. Ce con n'avait pas conscience de ce qu'il avait entre les mains, moi si.

Christer se laissa convaincre, encore. Il regarda un instant le blond fermer les yeux en retenant un soupir. Le jeune homme ouvrit son cahier et il commença la lecture d'un ton neutre. Il ne voyait pas ce que la lecture de l'un de ses rêves pouvait apporter à ces trois hommes. Allan et Rajiv non plus ne comprenaient pas pourquoi Eirik avait un si soudain intérêt pour ce jeune homme et plus particulièrement pour son cahier. Mais les premiers mots déjà attirèrent leur attention, comme Eirik l'avait été. Rajiv jeta un coup d'œil au Norvégien qui se contenta d'un sourire semblant dire « alors tu vois ».

Christer décrivait avec une meilleure précision que le blond ce que ce dernier avait vu. Derrière ses paupières clauses, Allan revoyait nettement le fleuve qu'il avait traversé et si la barque était la même...

- L'homme n'est pas le même, coupa Allan d'un ton abrupte. Il avait les yeux bleus.

Christer arrêta aussitôt sa lecture pour fixer le regard jaune qui le regardait droit dans les yeux.

- Vous voyez, intervint Eirik. Si tout son cahier est rempli de descriptions de là-bas...

- On en a besoin, continua Rajiv.

- Ça peut nous être utile lorsque l'on ira en Allemagne.

- Je n'irai pas, soupira Eirik en s'asseyant sur une chaise. Mon père s'est aperçu que j'avais récupéré mes profils et il m'a coupé les vivres. Alors je vais vous demander de m'envoyer là-bas avant de partir. Je ne veux pas rester dans un monde où je ne me sens pas à ma place.

Le sourire de KanonWhere stories live. Discover now