Cap Sounion

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Droit et immobile, il regardait l'horizon. Son regard fixe plongé dans les vagues, il avait l'impression qu'il y avait une éternité qu'il n'avait pas posé son regard sur les ondulations marines. Bien sûr, il y avait cette mer qu'il avait créée à Elysion. Mais ce n'était pas la même chose. Il manquait le vent et l'odeur si particulière de sa Grèce natale. Il sentait son cœur si lourd en sentant pénétrer en lui l'embrun marin. Mais qu'est-ce qu'il avait fait ? Pourquoi s'était-il mêlé d'un combat qui n'était pas le sien ?

Assis sur un rocher, Kanon en pensait à rien. Il préférait sinon il aurait déprimé. En fait, c'était déjà le cas. Depuis qu'il était revenu sur les lieux de son enfance. Il n'y avait pourtant aucun bon souvenir. Seulement, il y avait son frère. Avant ils étaient quasiment toujours ensemble et pourtant si loin l'un de l'autre. Et maintenant qu'ils étaient...

Kanon ferma les yeux en baissant la tête. Finalement, ils étaient toujours aussi loin l'un de l'autre. Il avait eu envie de rejoindre son jumeaux, le serrer dans ses bras, lui raconter ce qui s'était passé. Sans doute Saga pensait qu'il était mort. Mais finalement, Kanon était simplement rester à distance, cachant son cosmos à tous. Il savait si bien le faire. Pendant des années, il n'avait fait que cela, se cacher des autres. Il connaissait le Sanctuaire par cœur, mieux que n'importe qui d'autre ! Alors y circuler sans se faire voir n'avait pas été un problème. Ah, ce qu'il aimerait qu'il en soit de même en Enfers, puisqu'aucun spectre ne semblait décidé à partir. En même temps, il aurait fait la même chose à leurs places, il ne serait pas parti uniquement pour pourrir la vie de celui qu'il considérait être un intrus.

Finalement, il était resté caché, regardant un instant son frère et les autres chevaliers s'entraîner puis, il s'était rendu au Cap Sounion pour attendre les spectres. Parce qu'il ne doutait absolument pas que ceux-ci viendraient le chercher, même ici. Il ne voulait pas rentrer de lui-même, quelque part, ce serait se résigner à son sort et il n'était pas encore prêt pour ça. En attendant, en redescendant, il mettrait les choses au clair.

- Kanon.

Il ne se retourna pas. Cette voix, rude et autoritaire, il la connaissait. Il avait vite appris à le reconnaitre. A les reconnaitre. Toutes. Rhadamanthe. Il était derrière lui avec Eaque et Minos. Ils l'avaient retrouvé, encore. Kanon ne lui répondit pas. Il n'avait pas envie. Il ne pouvait pas, surtout. Simplement parce que les mots, sa voix ne passeraient dans sa gorge serrée.

- Vous en avez mis du temps, finit-il tout de même par dire.

Aucune réponse.

Debout derrière lui, les juges devaient bien s'avouer que là, quelque idée de déicide avait traversé leurs esprits. Ils l'avaient cherché sur toute la planète et lui... lui, il attendait tranquillement le cul assis sur un rocher du Cap Sounion !

- Et vous n'avez pas pensé à venir me chercher d'abord ici.

- On a surtout pensé que ce serait le dernier endroit où tu te rendrais. A cause des chevaliers...

Minos ne termina pas sa phrase. Pour eux, Kanon était toujours l'un des leurs, l'un des protecteur d'Athéna, qu'avait-il à craindre d'eux, par contre si eux se faisaient surprendre, là maintenant, les chevaliers ne pourraient que penser que les spectres comptaient s'en prendre au frère du Gémeaux, d'autant plus qu'ils n'avaient pas leurs surplis et qu'ils risquaient d'en être la risée face aux chevaliers. Kanon risquait moins au Sanctuaire qu'aux Enfers, sauf s'ils savaient ce qu'était devenu Kanon entre temps.

- J'avais besoin de prendre l'air.

De partir, de s'éloigner, de ne plus voir un seul spectre. De ne plus voir un ciel noir mais bleu. Et beaucoup d'autres choses que le bleuté s'abstint de dire.

- Nous devons y aller.

Et par "nous", la Wyverne incluait aussi Kanon, forcément. Jamais plus, il ne serait tranquille. Il y aurait toujours un juge pour le surveiller, il y aurait toujours Cerbère près de lui. Plus jamais seul. Il se l'était interdit mais avait très envie de pleurer.

- Vous n'avez rien dit aux spectres, n'est-ce pas. De ce qui s'est vraiment passé.

Silence.

Long silence.

Evidemment qu'ils n'avaient rien dit ! Comment auraient-ils pu expliquer qu'ils n'avaient rien fait lorsque leur monde avait été envahi. Que leur salut, ils le devaient à un ennemi devenu ensuite leur dieu, le successeur d'Hadès. Ils avaient juste présenté le bleuté comme étant le seigneur des Enfers, pas le dieu. D'où cette idée qui courait parmi les spectres que Kanon avait usurpé le trône de Perséphone.

Même s'il leur tournait le dos, Kanon les imaginait très bien serrer les dents autant que les poings. Non, les juges ne leur avaient rien dit d'autre que désormais Kanon était le Seigneur des Enfers, sans autre explication.

"Sans autre explication" reprit mentalement le bleuté. Donc les spectres devaient certainement penser que Kanon ferait tout pour leur nuire.

- Ils ne feront rien qui puisse nuire aux Enfers, continua Eaque.

- Dis-moi, commença le bleuté en se levant pour faire face aux juges, si tu étais à ma place, si c'était l'un d'entre vous qui s'était retrouvé à la tête du Sanctuaire, que feriez-vous ?

- J'aurai fini de le détruire, répondit Minos plus rapidement que ses frères qui n'en pensaient pas moins.

-Evidemment, soupira Kanon en leur tournant le dos. Je pose la question à des spectres. Ça ne peut pas être autrement.

Ils réalisèrent trop tard, le Griffon n'avait pas donné la réponse attendue et ils attendaient les reproches de Kanon. Mais ce dernier n'en fit aucun. Il était malade ou quoi !

- Pourquoi vous ne leur avez rien dit ? reprit Kanon.

Il n'avait pas envie de leur expliquer quelque chose que les juges risquaient de ne pas comprendre : ce qu'il ressentait. En attendant, lui, il aimerait comprendre pourquoi les juges n'en avaient pas dit plus que ça. Ah oui ! Qu'il était bête ! Ils voulaient simplement cacher qu'ils avaient manqué de volonté pour défendre les Enfers face à une horde d'envahisseurs venue d'il ne savait où, et que leur salut, ils le devaient à un ennemi. Et finalement, les juges auraient préféré de bons reproches, plutôt que les sarcasmes du bleuté.

- Nous n'avons pas fait le meilleur choix en ne croyant pas en cette victoire, finit par lui répondre Rhadamanthe plus pincé qu'à son habitude. Mais nous te demandons de respecter notre choix.

Kanon se tourna pour fixer la Wyverne en silence pendant de longues minutes. Le bleuté avait pensé qu'ils auraient au moins parlé de l'invasion, histoire que les spectres restent vigilants et puis, au moins, ça les auraient occupés et peut-être même qu'ils se seraient montrés plus efficaces.

- En attendant, ça c'est moi qui le paie, conclut Kanon. Alors j'y gagne quoi, moi, à fermer ma gueule ?

- A pouvoir sortir un peu des Enfers, répondit Minos après un instant de silence et sous les regards réprobateurs de ses frères. Mais toujours avec l'un des nous trois et pas ici.

Kanon serra les dents en dévisageant Minos. Même ça, il n'y avait pas le droit ! Là-aussi, il lui faudrait un chaperon ! Mais de quoi avaient-ils peur ? Que Kanon ne revienne pas ? Il était vrai que ça lui avait traversé l'esprit. Partir. Les laisser se débrouiller seuls. De tout façon, chacun n'en faisait qu'à sa tête, lui y compris. Alors ça ne pouvait pas coller entre Kanon et les spectres. Et le Griffon voulait acheter son silence avec des sorties dans le monde des humains. Donc, il lui faisait l'aumône de quelques sorties ! Surveillées en plus ! A se demander qui était le seigneur !

Les juges se retournèrent en même temps que le bleuté leva la tête. Des pas résonnaient sur les marches de pierres polies par l'usure menant à cet endroit. Ces pas, Kanon les connaissaient. Très bien même.

Non ! Pas ça !

Le sourire de KanonWhere stories live. Discover now