Ce que tu laisses

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Presque vingt-cinq ans que Saga descendait tous les jours jusqu'à la prison du Cap Sounion. Inlassablement. Dans l'espoir insensé de retrouver enfin son frère. Il était toujours en vie, Saga le savait. Il avait senti son cosmos voilà bien longtemps et après tant d'années, l'ainé des jumeaux espérait encore pouvoir retrouver son cadet. Mais chaque marche descendue augmentait sa crainte de trouver l'endroit désert, une fois de plus. Malgré cela, il redescendait toujours. Et comme tous les jours, il resterait la soirée à attendre le retour de son frère et il remonterait seul et la mort dans l'âme. Parce qu'il le savait, quelque soit la raison pour laquelle Kanon était revenu, à l'époque, s'il avait décidé de ne plus revenir, il ne reviendrait pas. Mais Saga descendrait toujours, juste au cas où et jusqu'à la fin.

Mais ce soir, son cœur fit un bond dans sa poitrine. Il s'arrêta pour l'observer. En bas, accroupi non loin de la prison, il y avait un homme. Seulement impossible de savoir qui il était. Il était revêtu d'une cape noire dont la capuche était rabattue sur sa tête. Une cape sombre semblable à celle que portait Saga lorsqu'il avait feint de rejoindre les troupes d'Hadès. Encore une allusion que pourrait faire le plus jeune des frères mais le Gémeaux n'osait pas espérer. La dernière fois, cela avait été trop douloureux.

Il s'approcha doucement, comme pour ne pas l'effrayer. Et si c'était Kanon ? Son cœur battait si vite dans sa poitrine. Et si son cadet avait enfin décidé de lui revenir après tout ce temps... Et si ce n'était pas lui ! L'homme commença à se redresser.

- Kanon.

L'autre s'immobilisa. Cette voix. Il y avait si longtemps qu'il ne l'avait pas entendue. Tout lui revenait d'un seul coup en mémoire. Le Sanctuaire, les chevaliers, son frère. Et tant d'autres choses. Et cette émotion dont était chargée cette voix, elle lui transperçait le cœur. Il ferma les yeux en coinçant ses lèvres entre ces dents pour ne pas craquer. Pour ne pas se tourner vers son ainé et ne pas se jeter dans ses bras. Il ne voulait pas. Il ne devait pas. Sinon, il n'aurait pas la force de redescendre, il le savait. Et Cerbère l'attendait, son chien espérait son retour. Kanon ne pouvait pas l'abandonner. L'animal n'avait que lui. Il se redressa totalement mais sans pour autant faire face à son frère.

- C'était bien toi, il y a vingt-cinq ans, n'est-ce pas ? J'ai senti ton cosmos.

Kanon écarquilla les yeux. Vingt-cinq ans ! Il s'était écoulé vingt-cinq ans ! Pourtant, il n'avait rien vu. Peut-être à cause de l'absence d'alternance de jour et de nuit aux Enfers. Il avait totalement perdu la notion du temps. Mangeant et dormant lorsqu'il en ressentait le besoin. Le reste n'existait pas. C'était comme si le temps n'avait pas cours aux Enfers. Il s'avança d'un pas vers la mer, s'éloignant de son frère.

- Kanon ! Attends ! Ne t'en va pas ! Tu n'as aucune raison de partir.

Aucune raison. Kanon aimerait bien en être aussi sûr. Il avait fait un choix, voilà longtemps, et il devrait en assumer les conséquences. A jamais.

La voix de Saga se faisait de plus en plus tremblante, blessant davantage les deux hommes. Kanon serra les poings. Il aurait tellement voulu revoir son frère, le serrer contre lui. Ils étaient si proches l'un de l'autre et pourtant un monde les séparait.

- Je ne reviendrais pas, Saga. Alors... ne m'attends pas...

Ces mots déchiquetèrent leurs cœurs. À l'un, comme à l'autre. Le dieu des Enfers n'attendit pas de réponse. Plus il resterait et plus il lui serait difficile de partir. Alors le cœur lourd et l'âme brisée, il laissa son frère seul face à la mer et à leurs désespoirs. La dernière chose qu'il entendit fut la voix de Saga l'appeler désespérément, une fois de plus. Et il l'entendait encore résonner dans tout son être en arrivant aux Enfers où Cerbère l'attendait impatiemment. Le chien s'apprêtait déjà à faire la fête à son maître et un gros câlin comme ils avaient l'habitude d'en faire chaque fois qu'ils étaient séparés. Mais cette fois, le bleuté restait immobile, la tête baissé. Cerbère avait beau lécher les mains du bleuté et gémir pour attirer son attention, rien n'y fit. Kanon restait cloîtrer dans la détresse de son frère.

Saga avait tenté de rattraper son frère avant que celui-ci ne s'en aille. Pourquoi ? Pourquoi devait-il se passer de son cadet ? Pourquoi ce dernier était-il revenu après tant de temps et aussi discrètement ? Si l'aîné n'était pas descendu comme tous les jours, jamais il ne l'aurait vu. Pourquoi son cadet était-il revenu ? Pas pour lui dire qu'il ne reviendrait pas. Il refusait de croire que son frère puisse être comme ça. Il devait y avoir une explication. Saga l'avait entendu dans la voix de son frère, il ne voulait pas partir mais il y était obligé. Se pouvait-il que quelqu'un là-bas garde Kanon auprès de lui ? Pour qu'elle raison ? Parce que Saga en était sûr maintenant, son jumeaux était bien aux Enfers.

Il explora un instant les environs. Il avait surpris son frère accroupi. Ce dernier faisait donc quelque chose de précis. Mais quoi ? Ce paquet de linge ? Possible. Kanon était accroupi de ce côté. Était-ce lui qui l'avait posé là ?

Saga s'accroupit à son tour pour déballer délicatement la boule de linge. Il découvrit stupéfait son contenu. Il resta un moment à l'observer. Il doutait que quelqu'un aux Enfers veuille s'en débarrasser. Savaient-ils seulement ce que Kanon venait de déposer là ? En tout cas, Saga avait une excellente monnaie d'échange. Mais c'était un pari risqué tout de même. Rien ne lui garantissait qu'ils pourraient revenir tous les deux. Ni même un seul d'entre d'eux.

Le Gémeaux leva la tête un instant vers le Sanctuaire.

- Pardonnez-moi, Déesse.

La nuit était tombée depuis longtemps sur le Sanctuaire et Saga n'était toujours pas remonté du Cap Sounion. Ayoros savait que son ami souffrait terriblement de l'absence de son frère, même s'il n'en avait jamais rien dit. Et surtout depuis qu'il avait senti son cosmos, quelques années auparavant. Parce que le Sagittaire en était sûr, son ami ne pouvait pas s'être trompé, il avait bien senti la présence de son cadet. Et c'était pour le retrouver que le chevalier des Gémeaux descendait chaque soir après l'entrainement, juste au cas où son cadet reviendrait.

Peut-être que Kanon était enfin revenu ! Bien sûr et c'était pour cela que Saga tardait tant à remonter !

Mais Ayoros avait beau se concentrer, il ne sentait rien. Aucun cosmos. Pas même celui de son ami !

Pris soudainement d'un mauvais pressentiment, le chevalier se précipita jusqu'au Cap Sounion, jusqu'à la prison et son cœur se serra.

- Oh, Saga, étais-tu à ce point désespéré ?

Face au Sagittaire, l'armure d'or des Gémeaux regardait la mer.

Le sourire de KanonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant