Tout perdu

146 17 37
                                    

Ses pas résonnaient sur les dalles de pierres mais Saga ne les entendait pas. Seul comptait qui il allait retrouver en bas. Alors la seule chose qu'il entendait, c'était les battements de son cœur. Il était là ! Enfin ! Il avait senti son cosmos ! Mais pourquoi son frère restait-il caché ? Personne ne lui en voulait d'avoir autrefois desservi Athéna. Et surtout pas lui. Désormais, plus rien ne pourrait jamais les séparer. Rien. Se retrouver là où ils s'étaient quittés. C'était bien une idée de Kanon ! Et l'aîné l'imaginait déjà, debout face la mer et se tournant vers lui...

Lorsque son cadet lui avait parlé de son côté obscur, il y a un peu plus de quatorze ans, Saga aurait dû l'écouter au lieu de l'enfermer au Cap Sounion. Finalement, son frère le connaissait mieux que lui-même. Et il ne l'avait pas revu depuis ce jour-là.

Aujourd'hui, il dévalait les escaliers menant à la prison du Cap Sounion. Enfin, il allait le retrouver. Il avait été surpris qu'ils soient tous ressuscités et pas lui. Il avait même pensé que Kanon était revenu à lui aux Enfers mais impossible d'aller vérifier même pour Athéna. Ikki lui avait certifié l'avoir laissé avec Rhadamanthe et Minos. Il avait senti le cosmos de son frère lorsqu'il s'était retrouvé face au mur des Lamentations mais il n'avait pas eu le temps de lui dire. Lui dire combien il était heureux et fier que son cadet se soit enfin décidé à servir sa déesse.

Plus jeune, Saga ne s'était préoccupé que de son apprentissage, délaissant son double sans même chercher à comprendre s'il souffrait ou non de sa situation de deuxième né. Une malédiction chez le chevalier des Gémeaux : deux frères jumeaux, une seule armure. Athéna lui avait assuré qu'elle ferait tout pour que cela change. Mais que désormais, le frère cadet ne devait plus vivre dans l'ombre de son ainé.

Pour l'instant, il se précipitait vers le Cap Sounion, là où il avait laissé son frère jadis, là où Saga avait senti son cosmos. C'était un peu ironique de la part du deuxième frère mais ça ne choquait pas le chevalier en titre. Bien au contraire, c'est tout à fait dans son style. Autrefois, Saga était remonté seul de cet endroit. Aujourd'hui, Kanon remonterait à ses côtés comme les deux frères qu'ils auraient toujours dû être.

- Kanon !

Il s'arrêta net, une fois arrivé en bas, devant la mer. Il n'y avait personne. Il appela son frère, plusieurs fois, de plus en plus fort.

Aucune réponse.

Le bleuté insista. Il chercha partout. Entre les rochers, dans la prison. Oui ! Il devait être là ! C'était là qu'il l'avait lâchement laissé, se débarrassant de ce qu'il pensait être son côté sombre. Il serait presque logique de trouver Kanon derrière les barreaux afin que Saga puisse le libérer. C'était symbolique bien sûr puisque la porte ne serait pas verrouillée, mais un symbole fort pour les deux frères.

Personne.

C'était impossible ! Saga avait senti le cosmos de son cadet ! Il ne l'avait pas rêver ! Il ne pouvait pas l'avoir rêver !

Il l'appela de nouveau. De plus en plus fort alors que sa poitrine et sa gorge se comprimaient d'un désespoir grandissant. Il voulait retrouver son frère. Il devait le retrouver !

Mais seules les vagues répondaient à ses appels devenus désespérés. Il n'avait pas rêvé. Il avait bien senti la présence de son frère. Il hurla longtemps. Son frère devait lui revenir.

Absolument.

Immobile sur un rocher battu par les vagues, Kanon regardait son frère en silence. De là, il voyait nettement la petite crique où se lovait la prison du Cap Sounion. Le bleuté et les juges s'étaient déplacés plus loin, sur les récifs au pied de la falaise. De là, ils pouvaient voir l'endroit où ils se trouvaient un peu plus tôt. Ils regardaient l'homme revêtu d'une armure d'or. Ils étaient partis juste à temps, juste avant que le chevalier n'arrive. Ils l'avaient vu ralentir en s'apercevant qu'il n'y avait personne. Et chercher.

Kanon maintenait son cosmos au plus bas. C'était à cause de ça que Saga était venu jusque-là. Le second jumeau restait immobile à le regarder. Kanon avait le cœur lourd et la gorge serrée en entendant le vent porter en écho la voix de son frère. Les appels désespérés d'un homme à la recherche de son cadet. Le chevalier hurlait sa colère, sa rage de ne pas pouvoir retrouver son jumeau. Il hurlait son nom. Il lui criait de revenir de tout son cœur, de toute son âme. Et chaque mot, chaque syllabe de son ainé transperçait le plus jeune toujours plus profondément.

Le nouveau dieu aurait tellement voulu retrouver son frère, lui montrer à quel point il avait changé depuis que son aîné l'avait enfermé dans cette prison, le condamnant à une mort certaine. Il lui en avait voulu, pendant longtemps, de le trahir de cette façon. Mais plus maintenant. Il savait qu'il l'avait mérité.

"On finit toujours par avoir ce que l'on mérite" lui avait dit Rhadamanthe, il y a quelques temps. Ce à quoi Kanon avait répondu que si les Enfers était ce qu'il méritait, alors Kanon était le châtiment des juges pour leur manque de motivation. Et cette fois-là, la Wyverne avait encore manqué une occasion de se taire.

Jamais !

Jamais Saga ne devrait revoir son cadet. Parce que Kanon devrait alors lui expliquer ce qui s'était passé, pourquoi il ne pouvait plus revenir au Sanctuaire. Comment expliquer que l'homme qui avait éveillé le mal chez son aîné, manipuler un dieu, s'était repenti auprès de sa déesse, était lui-même devenu un dieu contre sa volonté. Ce n'était pas crédible et Kanon en avait horriblement conscience. Jamais son frère ne croirait alors à la sincérité de son repentir. Jamais.

Il écouta encore longtemps les appels désespérés de son frère qui s'étouffaient peu à peu dans ses sanglots et Kanon s'enfonçait peu à peu dans le désespoir de son ainé.

Derrière lui, les trois juges demeuraient silencieux. Et il valait mieux pour eux. Leur seigneur avait la rage contre tout. Tout comme son frère qui hurlait la sienne là où se trouvait son cadet quelques instants plus tôt. Les yeux rivés sur son ainé, Kanon luttait pour ne pas plaquer les Enfers et rejoindre, son jumeau. Il luttait contre les muscles de son visage qui voulaient eux-aussi crier la rage du bleuté. Et ne pas pleurer. Surtout ne pas pleurer. Jamais !

- Vos sorties, vous pouvez vous les foutre dans le cul. Et si je veux ouvrir ma gueule, je le ferai. Rien à foutre. J'ai plus rien à perdre.

La voix du bleuté était sourde mais aussi chargée d'émotion. Une émotion que les juges ne parvenaient pas à comprendre. Cependant...

- Kanon...

- C'est Seigneur Kanon désormais. C'est mon statut, non ?

Les juges acquiescèrent. En silence.

Le sourire de KanonWhere stories live. Discover now