Le sourire de Kanon

Faire le vide

Finalement, les juges avaient bien joué à être sans arrêt sur le dos de l'intrus tout en lui faisant croire qu'ils étaient à son service. Et tout ça pour l'obliger à partir de lui-même. C'était finement joué ! Et ils avaient eu tort de douter de leur fidélité envers Dame Perséphone.

Ça, c'était la conclusion qu'avaient fini par tirer les spectres en attendant le retours des juges. Mais alors pourquoi avoir mis autant d'ardeur à le chercher ? Pourquoi partir dans le monde des humains pour le retrouver ? Le bleuté y était bien mieux qu'ici !

Aussi furent-ils surpris et dépités en voyant les juges revenir avec l'intrus. Pourquoi l'avoir ramené ? Mais avant que l'un d'eux n'ouvre la bouche pour contester, Minos fit un léger signe de tête, intimant le silence aux spectres. Ce n'était pas le moment de faire la moindre réflexion. Surtout pas !

Kanon ne les regarda pas vraiment. Mais il voyait leurs visages, leurs déceptions de voir revenir aux Enfers leur ennemi. Le bleuté se sentait vide. Il avait tout laissé, tout perdu. Et pourquoi ? Pour une éternité aux Enfers. Une éternité avec eux. Il était de retour aux Enfers encadré par les trois juges. Une escorte oppressante, une présence devenue encore plus pesante. Il s'arrêta pour regarder le ciel à la clarté sombre. Il avait oublié combien le ciel pouvait être bleu et clair, lumineux. Il baissa la tête pour regarder Cerbère. Content de le revoir, le chiot remuait la queue avec énergie, les deux pattes avant posées sur la jambe du bleuté et les regards brillant levés vers lui. L'animal attendait une attention, voir même une caresse.

Kanon regarda un instant les langues pendouiller. La mascotte des Enfers était le seul à être content du retour du bleuté. Son regard. L'animal retira ses pattes et se recula un peu. Le seigneur des Enfers n'était pas furieux mais il n'était pas content non plus. Alors il valait peut-être mieux que le chiot reste un moment à bonne distance, pendant quelques temps. Kanon regarda sans réagir l'animal infernal reculer de quelques pas, sans voir que derrière lui, les spectres assistaient à la scène dans le plus grand silence. Ils s'écartèrent lorsque Kanon s'avança.

Le bleuté sentait les larmes lui monter aux yeux et il devait lutter contre ça. Il ne sentait même plus sa blessure à l'épaule. Elle était devenue si insignifiante par rapport à la douleur qui étreignait son cœur et son âme.

Autour de lui, les spectres restaient silencieux. Il était revenu, ce chevalier. Il aurait mieux fait de rester là où il était. Ils n'avaient pas besoin de lui. Ils savaient ce qu'ils avaient à faire. Et l'autre, en plus d'être un intrus, était un trouble-fête. Ils le regardèrent s'arrêter un peu plus loin.

- J'ai changé d'avis, leur dit-il d'une voix sans timbre. Vous dégagez. Tous. Vous avez deux heures. Et je vous laisser leur expliquer pourquoi.

Kanon s'éloigna en laissant les spectres plantés, saisis de stupeur. Ils étaient virés de leur monde ! Et pourquoi ? Qui devait leur expliquer ce qui donnait à cet imposteur le droit de les chasser de leur monde ?

Mais Kanon ne leur répondit pas. Non, il ne leur expliquerait rien. De toute façon, ils ne comprendraient pas ce qu'il ressentait. Ce vide douloureux qui l'avait envahi. Il avait perdu son frère. Ce n'était pas par esprit de vengeance qu'il chassait les spectres des Enfers, c'était juste qu'il ne supportait pas l'idée de vivre à leurs côtés et pas auprès de son aîné. Alors il préférait se retrouver seul. Il regarda dans la direction de la Giudecca. Même elle, elle allait partir.

Ni Rhadamanthe ni Eaque n'enviait la place de l'autre. Ils avaient presque dû tirer au sort. Seul Minos s'en était bien tiré en disant qu'il allait chercher Rune. Le Balrog était retourné à son travail puisqu'il était avéré que Kanon avait quitté les Enfers. Ça ne servait à rien d'attendre. Restaient la Wyverne et le Garuda. L'un devait expliquer aux spectres ce qui s'était vraiment passé lors de l'invasion et l'autre... devait parler à Kanon pour tenter de le faire changer d'avis.