L'opinion des spectres

213 22 81
                                    

- Vous êtes de méchante humeur.

Kanon se tourna pour dévisager un moment Naïana. Ses mains délicates s'étaient posé sur les épaules du bleuté pour les masser. Il s'était assis sur les marches devant la Giudecca pour réfléchir, Cerbère sagement allongé à ses pieds. Le chien avait grogné contre la servante mais il avait obéi aussitôt lorsque Kanon lui avait ordonné de se taire et de se coucher. Cependant, l'animal ne la quittait pas des yeux.

Comme d'habitude, Kanon n'avait pas entendu Naïana s'approcher. Mais ses mains sur ses épaules... hm, Kanon ferma les yeux pour se détendre un instant. Un instant seulement, parce que son cerveau cherchait déjà qu'elle était la nature de la jeune femme. Selon les dires de celle-ci, elle était morte, ce qui était certainement vrai puisqu'elle était en Enfers. Arriver ici vivant n'était pas donné à tout le monde. Et puis, elle lui avait dit avoir été éviscérée parce qu'elle avait refusé de se soumettre au désir de son maître. Mais le bleuté sentait chez elle comme une légère présence qu'il ne sentait pas chez les autres damnés. Et comme il ne voulait pas demander aux spectres comment il se faisait qu'une âme ne soit pas en train de souffrir dans l'une des prisons, il cherchait à comprendre par lui-même. Il ne voulait pas entendre un truc du genre : « tu es le seigneur des Enfers et tu ne sais pas ça ? » avec au choix un air ironique ou méprisant.

- Non, finit-il par répondre d'un ton qu'il aurait voulu moins sec.

- Vous devriez peut-être prendre un peu de repos.

- Ah ouais ! Et où veux-tu que j'aille ? Chaque fois que j'veux m'poser pour pioncer, y en a toujours un qui débarque une heure ou deux après ! Ils sont toujours après moi, à me chercher. Et maintenant, avec ce clébard tricéphale, ils me retrouvent encore plus facilement !

L'animal en question releva ses têtes pour regarder Kanon tandis que la servante se recroquevilla un instant devant la subite colère de son seigneur puis, elle lui proposa, d'une toute petite voix, un bon bain. Mais Kanon n'était pas très chaud pour ça. L'autre fois, il n'avait pas senti Eaque arriver ni vu le temps passer. Alors il préférait ne pas trop de détendre pour éviter ce genre de situation, parce que ce n'était pas Naïana qui pourrait le défendre. La servante finit par acquiescer en précisant qu'effectivement, elle ne pouvait rien contre les juges.

- Peut-être devriez-vous vous retirer quelques temps en Elysion. Là-bas, vous seriez tranquille.

Kanon la dévisagea un instant. Aller à Elysion. Pourquoi faire ? Il n'y avait que de l'herbe et des fleurs là-bas, à perte de vue. Et rien d'autre. Il allait s'ennuyer à mourir tout seul s'il y allait. A moins qu'il n'emmène... Ah non alors, il supportait déjà Perséphone dès qu'il mettait un pied à la Giudecca, il n'allait pas en plus se la supporter à Elysion s'il se prenait un peu de repos. A moins qu'il n'aille l'enquiquiner, elle allait souvent là-bas en prétextant que le nouveau dieu l'épuisait au plus haut point. Ce qui était peut-être vrai. Il ne voyait pas où il était pénible. Il se supportait très bien.

- Alors rendez-vous dans le monde des humains.

- Ils m'laisseront jamais sortir.

- Vous êtes le seigneur de ses lieux. Nul ne peut vous en empêcher.

Peut-être. Enfin pour l'instant, il fallait qu'il embête quelqu'un pour décompresser un peu. Et justement qui voyait-il arriver au loin avec des paquets plein les bras ? Ben à vrai dire, le bleuté ne voyait pas. L'autre semblait submergé par les sacs, il en avait tout le long de ses deux bras et il tenait en plus une pile de carton plus haute que sa tête. Le pauvre ne devait certainement rien voir et il manquait de trébucher à chaque pas.

Kanon se leva pour descendre une marche et aller l'aider mais il se ravisa. Il était dans les Enfers là, donc c'était forcément un spectre qui s'avançait vers la Giudecca si lourdement chargé.

Le sourire de KanonOnde histórias criam vida. Descubra agora