Eirik

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Eirik était dégoûté et ce que pensaient les autres, il s'en moquait. Ils pouvaient bien aller en enfer, tous autant qu'ils étaient ! Ils ne comprenaient rien ! Donc plus personne ne voulait l'aider. Ils avaient trop la trouille d'être virés ! Lui, s'il était encore là, c'était parce que son père avait de l'influence. Mais ce dernier avait prévenu Eirik : s'il voulait mourir, qu'il le fasse franchement mais qu'il n'implique personne. Même s'il ne comprenait pas son fils. Ce dernier avait tout ce qu'il pouvait vouloir ! Il était plutôt beau garçon, même avec ses cheveux blancs indisciplinés. Il était un excellent étudiant et une belle vie se dessinait pour lui. Alors pourquoi tout gâcher en se suicidant ?

Pf, ils ne comprenaient vraiment rien ! Eirik n'avait pas l'intention de mourir, il menait simplement des expériences. Ce que personne semblait comprendre. Ni ses parents, ni son débile de psy qui avait décrété qu'Eirik était dépressif et suicidaire. Il n'en avait pas marre de sa vie, seulement de cette vie. C'était difficile à comprendre, à expliquer aussi. Mais toutes ces heures avec cet écouteur de problèmes étaient perdues. Du gaspillage de temps et d'argent parce qu'Eirik n'était pas fou, il n'était pas suicidaire ni dépressif. Eirik n'avait pas de problème ni même de conflit à régler.

« Pas suicidaire ! » avait repris son père avant de lui énumérer toutes les fois où il avait cherché à se donner la mort. Trop près du bord de la route où la voiture le klaxonnait sans cesse. Du quai en attendant son train, son père avait eu vent de plusieurs fois ou des usagers avaient rattrapé Eirik de justesse. Et lorsqu'il y repensait maintenant, toutes ces fois où il restait la tête sous l'eau trop longtemps pendant son bain ou à la piscine. Ou alors lorsqu'il grimpait aux arbres et qu'il se laissait tomber. Et dernièrement, ce jeu français. Et quel jeu ! S'étrangler avec un foulard ou une ceinture !* Ils en avaient de drôles de jeux, les Français !

Et c'était là qu'Eirik s'était fait griller. Pour être certain que le foulard, plus doux que la ceinture, garde une pression constante, Eirik avait fait appel à quelqu'un. Mais pas la bonne personne visiblement puisque l'étudiant avait paniqué lorsque Eirik avait perdu connaissance et il avait appelé les secours. Et forcément prévenu l'université et le père d'Eirik. Ce dernier avait fini à l'hôpital. Et en plus son père avait trouvé ses différents profils sur les réseaux sociaux où il racontait ses différentes expériences. Parce que pour le jeune homme, tout ça n'était que des expériences. Il ne voulait pas mourir, il voulait juste savoir ce que ça faisait de mourir, ce que l'on ressentait lorsque la vie était sur le point de quitter son corps. En avait-on vraiment conscience ? Comme certains le prétendaient. Et ce jeu dit du foulard était simple. Il fallait simplement serrer un foulard sur le cou jusqu'à la suffocation, un excellent moyen de s'approcher de la mort même si c'était dangereux et que certains étaient morts.

Et en plus, il était connu pour ces expériences sur les réseaux sociaux. Il exposait chacune de ses tentatives pour approcher la mort. D'ailleurs, il recevait régulièrement des idées pour ses expériences. Un comble pour son père de découvrir son fils tenait un manuel du suicide ! Et puis, Eirik avait dit quelque chose qu'il n'aurait jamais dû dire : les raisons pour lesquelles il voulait autant à approcher la mort. Et ses raisons étaient simples : en plus de savoir ce que ça faisait de mourir, il voulait savoir ce qu'il y avait de l'autre côté. Alors son père n'avait fait ni une ni deux, puisque mon fils se posait des questions d'ordre spirituel, il devait absolument voir un prêtre. Ce dernier pourrait amplement répondre aux interrogations existentielles du jeune homme. Un prêtre ! Et pourquoi pas un exorciste pendant qu'on y était ! Et lui qui voulait juste savoir ce qu'il y avait d'autre comme vie !

- L'enfer pour toi, mon fils, lui avait alors dit le prêtre, si tu persistes à vouloir perdre la vie que le Seigneur t'a donnée.

- Mais je ne veux pas de cette vie qu'il m'a donnée, ton Seigneur. Et puis, je ne suis pas ton fils. Et c'est ton Seigneur, pas le mien !

Là-dessus, le jeune homme s'était éloigné. Mais avant de claquer la porte, il avait déclaré en posant un regard vague sur le sol :

« Ne comprends-tu pas, Seigneur, que cette vie dans ce monde ne m'intéresse pas ? »

Le prêtre s'était signé plusieurs fois en regardant ce jeune homme s'adresser directement au Malin.

Pour l'instant, assis sur un banc dans le parc de l'université, il se maudissait de n'avoir pas été suffisamment prudent avec ses profils. Son père l'avait obligé à tous les effacer. Tous ses écrits, ses discussions avec d'autres internautes sur ces sujets qui les passionnaient tant, allaient purement et simplement disparaître. Parce que son père, non content de lui avoir fait supprimer ses profils, lui avait également supprimé Internet et son Smartphone. Le jeune homme se retrouvait avec une relique de l'âge de la pierre. Il pouvait juste téléphoner et envoyer des texto. Et c'était tout. C'était ce qu'il l'énervait le plus : perdre toutes ces conversations, tout ce qu'il avait écrit. Et s'il s'était soumis à cette « torture sociale », c'était parce qu'il était entièrement dépendant de ses parents le temps de ses études.

La grosse déprime ! Donc, si Eirik voulait les récupérer derrière le dos de ses parents, il devait absolument trouver quelqu'un qui lui prêterait son Smartphone, au moins pour récupérer ses profils sur les réseaux sociaux, et surtout le détail de toutes ses expériences et les commentaires, avant que ceux-ci ne soient perdus à jamais. Seulement voilà, plus personne ne voulait l'aider.

Ah, peut-être lui là-bas, le rat de bibliothèque, il ne lui avait pas demandé. En fait, personne ne lui parlait. Mais peut-être qu'il accepterait de lui laisser son téléphone portable.

- Eric Eltilvadre ?

Le concerné tourna la tête vers cette voix étrangère. Et étrangère dans les deux sens du terme. Un asiatique, ça se voyait et s'entendait aussi. Il avait massacré son nom !

- Eirik Elthilvardr, corrigea celui-ci en jetant également un coup d'œil au blond super pas souriant qui l'accompagnait.

- Je t'avais dit de me laisser dire son nom, lança le blond à son ami.

- Rajiv Marēkō N'Yāya et mon ami Allan Stwehall.

Eirik les détailla un moment. Ça lui disait vaguement quelque chose.

- Vous me prêtez votre téléphone.

Le brun hocha la tête tandis qu'Eirik tendit la main, le réclamant en silence. Ces deux-là, il ne le connaissait pas. Donc, il y avait peu de chance pour qu'eux le connaissent et surtout qu'ils sachent qu'il était privé de téléphone comme un vulgaire gamin était privé de son jouet. Rajiv lui tendit sans un mot son Smartphone après l'avoir déverrouillé. Eirik s'en saisit rapidement comme un affamé se jetant sur de la nourriture et juste au cas où l'autre aurait changé d'avis. Enfin Eirik allait pouvoir récupérer ses comptes, sauver ses données mais il se retrouva vite bloqué. Le Norvégien aurait éventuellement plus se débrouiller si tout avait été écrit en anglais mais...

- Ah oui, désolé. C'est en népalais !

Eirik le regarda droit dans les yeux, surpris. Ils connaissaient ce genre de technologie là-bas ?! Bah après tout, ce n'était pas sa principale préoccupation.

- Je vous ai mis le clavier en norvégien, l'informa le blond en lui tendant son appareil. Un problème avec le votre ?

- Un problème ? répondit Eirik en prenant le Smartphone. C'est mon père, le problème. Il m'a supprimé mon téléphone pour une broutille et il m'a fait supprimer mes profils. Je sais, c'est nul mais c'est eux qui paient tout. Et ils m'ont dit que si je n'arrêtais pas mes conneries, ils me couperaient les vivres. Il faut juste que je sois plus discret. Mais... (il sourit en rendant le petit appareil à son propriétaire) grâce à vous, j'ai pu les récupérer.

L'Anglais et le Népalais se regardèrent un instant. Il aurait été dommage, en effet, de perdre toutes les informations contenues dans ces profils. Eirik passa son regard de l'un à l'autre pendant quelques secondes. Parce qu'ils avaient lu !

- Il faut simplement trouver les bons alliés, lui sourit le Népalais en tendant la main vers le Norvégien. Rajiv et mon ami, Allan.



*Le jeu du foulard est un jeu dangereux à cause duquel plusieurs personnes ont perdu la vie. A bannir si jamais quelqu'un vous le propose, tout comme n'importe quel autre défi, même s'il paraît anodin, que l'on pourrait vous proposer, comme de poser du sel et un glaçon sur la peau. Ce jeu provoque de graves brûlures ! Refuser n'est pas un signe de faiblesse ou de manque de courage. Bien au contraire ! Et Eirik n'est pas un modèle à suivre.

Le sourire de Kanonحيث تعيش القصص. اكتشف الآن