Le château de Heinstein

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« L'état se fera un plaisir de payer ton voyage ».

Eirik avait embarqué pour l'Allemagne en même temps que Christer. Ce dernier lui avait payé le voyage. Il bénéficiait d'une bourse pour ses études grâce à ses excellents résultats scolaires. Si au début, il avait eu l'intention de rendre cet argent, il s'était vite ravisé. Lui non plus ne voulait pas rester dans un monde où il se sentait de trop. Sa famille n'en avait rien à faire de lui et c'était réciproque. Il ne manquerait donc à personne. Alors avant de partir, les quatre hommes avaient passé un pacte : quoi qu'ils trouvent à Heinstein, ce serait leur dernier voyage. Puis, chacun était rentré pour « régler leurs affaires » et retirer tout l'argent dont ils disposaient.

Et les voilà maintenant tous réunis dans un taxi en route pour Heinstein. Bien sûr, ils s'étaient renseignés avant de partir. C'était comme ça qu'ils avaient su où ils devaient se rendre. Ils avaient aussi appris que le domaine appartenait à une ancienne famille de la haute aristocratie allemande, mystérieusement disparu voilà presque cinquante ans. Depuis, plusieurs histoires étranges couraient sur ce domaine. Les lieux étaient hantés. Maudits. Une ancienne malédiction était ressurgie. Il y avait très longtemps, un peuple aujourd'hui disparu, il vouait un culte à un ancien dieu des ténèbres. Et le chauffeur de taxi, un belge venu s'installer dans les environs, semblait intarissable sur le sujet. Allant de la disparition de personnes, à la mort de plusieurs lapins découvert aux alentours il y avait une quinzaine de jours et que rien n'avait pu expliquer. Si Eirik et Rajiv écoutaient avec attention les anecdotes de ce chauffeur de taxi passionné de cet endroit et le seul qui ait accepté de les emmener, Christer et Allan n'avaient qu'une seule hâte : arriver sur les lieux le plus vite possible pour ne plus entendre ses bavardages incessants. Qui avait dit que les femmes étaient les plus bavardes ?!

- Prenez bien garde, les avertit encore le chauffeur. On dit que la mort rôde dans ces lieux.

Rajiv et Eirik lui firent un signe de la main avant de lui tourner le dos pour faire face, comme Allan et Christer, à une vieille grille en fer forgé toute rouillée qui indiquait l'entrée du domaine abandonné. Toujours stationné devant le portail, le chauffeur les regarda s'enfoncer dans cette végétation devenue dense par manque d'entretien. Mais ce qu'il n'avait pas dit tout à l'heure, c'était qu'il était entré dans le domaine deux ans auparavant mais il n'avait pas pu aller jusqu'à la maison. La mort elle-même l'en avait empêché. Et elle avait pris une apparence bien surprenante.

Les quatre hommes progressaient difficilement. La végétation avait tout envahi, y compris la route qui menait jusqu'à la demeure. Les puissantes racines des arbres s'insinuaient dans le moindre espace. Ils suivaient ce qui avait été à une époque une allée de graviers blancs. Mais une armée d'arbres et de buissons leur en cachaient le tracé exact.

- La nature est pénible pour ça, avait commenté Rajiv aux trois citadins. Laissez-lui dix ans et elle envahit tout !

Mais même lui avait des difficultés pour trouver son chemin. Et son excuse fut qu'il était un homme des montagnes, pas des forêts. Il leur fallut donc la journée avant d'atteindre les premières ruines, après avoir tourné en rond pendant des heures, Allan étant certain d'avoir déjà vu cet arbuste au moins cinq fois ! Ils installèrent un camp de fortune à l'ombre d'une construction pas totalement écroulée. Ils auraient dû au moins prévoir des sacs de couchage mais au départ, ils avaient prévu de dormir à l'hôtel. Sauf que, le domaine était bien plus grand qu'ils ne l'avaient cru. Ce fut donc dans les restes d'une sorte de mausolée circulaire que les quatre amis se mirent à l'abri de l'air qui se rafraîchissait avec l'approche de la nuit. Ils firent un premier bilan tout en mangeant des sandwiches. Ils avaient été tellement persuadé de trouver autre chose que des ruines, quelqu'un qui aurait plus leur expliquer pourquoi Allan avait prononcé ce nom en revenant de sa dernière fausse mort, alors que jusqu'à présent il avait fallu stimuler ses souvenirs par des discussions et des promenades. Le cahier de Christer avait été une mine d'or pour ça. Le jeune homme avait tout recopié en étoffant avec le souvenir d'Allan. Sauf un passage. Ce rêve avec cet homme aux yeux bleus qui faisait battre follement le cœur de l'ancien étudiant. Mais rien, l'endroit semblait désert. Bah, ils verraient bien demain en allant un peu plus loin. Généralement ce genre de construction se trouvait plutôt derrière la demeure, dans le fond du domaine. Ils étaient donc parvenus à faire le tour de la maison principale sans même l'apercevoir !

Le sourire de KanonWhere stories live. Discover now