Sur le fleuve

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Immuablement sombre. Le ciel de Kanon ne changeait jamais. Allongé dans la barque du passeur, le bleuté regardait la voûte céleste. Pouvait-on d'ailleurs parler de voûte céleste ? Il n'y avait aucune étoile et céleste se référait bien au ciel. Bien sûr ce qu'il voyait s'apparentait à un ciel. Mais un ciel, même nocturne n'était pas aussi sombre. En tout cas, ça ne ressemblait pas au plafond d'une grotte, aussi vaste soit-elle. Pourtant, l'on pourrait s'y attendre vu qu'il fallait descendre dans les entrailles de la terre pour rejoindre cet endroit. Comment devait-il appeler ce qu'il y avait au-dessus de sa tête. Kanon avait beau y réfléchir, il ne voyait pas. Ça resterait donc le ciel. Infernal mais le ciel quand même.

Kanon restait immobile, allongé au fond de la barque dans laquelle il s'était installé, le regard vers son ciel et seul. Cerbère n'était pas avec lui. Le chien ne montait plus dans la barque du passeur. Il avait bien grandit et il n'avait plus rien du chiot aux trois adorables têtes qui suivait Kanon partout. Il était devenu un beau chien qui suivait Kanon partout. Mais pas sur l'Achéron. Le bleuté ne l'emmenait plus sur la barque. Le chien se penchait au-dessus du fleuve et il essayait d'attraper les âmes prisonnières de l'Achéron. Et à chaque fois, la barque manquait de chavirer ! Donc, Cerbère devait apprendre à rester sagement sur la berge. Et Kanon à faire la traversée tout seul ! C'était un peu triste sans son chien. Et le bleuté était tenté de lui apprendre à rester sage dans la barque. Mais pour l'animal, les âmes dans le fleuve étaient beaucoup trop amusantes et il voulait les attraper. Il était certainement encore trop jeune. Et puis, de toute façon, le chien ne pourrait pas toujours suivre Kanon sur le fleuve. Mais c'était dur, pour l'animal aussi bien que le dieu. Il y avait si longtemps qu'ils étaient tous les deux. Combien de temps ? Aucune idée. Kanon n'avait pas compté. Le temps que Cerbère grandisse. Mais à quel rythme grandissait-il ? Là aussi, Kanon l'ignorait.

- Non ! Cerbère ! cria Kanon sans se redresser. Ça fait pas suffisamment longtemps ! C'est assez dur comme ça, continua-t-il pour lui-même, alors m'appelle pas.

Mais le chien persistait. Il aboyait de plus en plus fort. Alors Kanon se redressa dans sa barque pour se tourner vers la rive et son chien. Il avait pris la précaution d'attacher la barque à la berge, juste au cas où le fleuve aurait décidé de le faire dériver au loin. Mais le courant était quasi absent. La barque avait à peine bougé. Mais Cerbère n'appelait pas son maître pour qu'il revienne. Non, ses appels étaient différents. Il se passait quelque chose. Depuis quand se passait-il quelque chose ? Il ne s'était rien passé depuis... depuis quand d'ailleurs ? Il avait déblayé les gravas, reconstruit ce qu'il pouvait. Mais seul, il ne pouvait pas entreprendre de gros travaux dont avaient besoin les bâtiments. Alors, il se contentait de faire ce qu'il pouvait et il était plutôt fier de lui ! Les prisons étaient redevenues solides et fiables même si elles avaient un aspect quelque peu différent. Bref, le chien tricéphale regardait vers l'amont. Enfin, ce qui semblait être l'amont. Alors Kanon y porta aussi son regard. Il y avait quelque chose qui flottait à la surface du fleuve. Kanon tenta de discerner ce que pouvait bien être ce gros paquet.

Le bleuté fronça les sourcils puis écarquilla les yeux un instant avant de les plisser pour mieux voir. Ledit paquet semblait avancer plutôt vite. Pourtant la barque n'avait quasiment pas bougé, la corde avec laquelle il l'avait attachée n'était même pas tendue. Et ce paquet avançait ! A moins que l'embarcation ne soit prévu que pour naviguer sur cette partie du fleuve. En tout cas, le bleuté devait récupérer le paquet pour voir ce qu'il contenait. Et il n'était pas bien axé. S'il restait là, le paquet passerait au loin. En quelques coups de rame encore un peu maladroits, il se trouva quasiment à porter de main de son objectif. Presque mais pas tout à fait. Kanon lâcha sa rame pour se précipiter. Il devait se pencher au-dessus de l'eau et tendre le bras pour attraper le paquet qui avait déjà atteint la proue du bateau. Le bleuté n'avait pas été suffisamment habile pour placer son embarcation en travers du cours d'eau. Une main appuyée sur le bord du bateau, il se pencha dangereusement au-dessus du fleuve. Il sentit l'embarcation giter. Il y était presque... Le paquet passa devant lui... Oui ! C'était une boule de linge et son doigt s'était pris dans un repli ! Mais ce n'était pas encore gagné. Il devait ramener le paquet, tout doucement pour ne pas prendre le risque de le lâcher. Tout doucement... Il sentit le bateau giter de nouveau alors qu'il se penchait encore pour avoir une meilleure prise. Il était sur le point de chavirer. Il sentait sous la surface le poids des âmes qui s'y étaient amoncelées. Kanon ne les sentait pas agressives mais soumises. Il porta son regard juste un instant sur la surface de l'eau. Juste une seconde à peine, le temps d'apercevoir un ou deux visages. Il bascula et pour ne pas tomber à l'eau...

Le sourire de KanonWhere stories live. Discover now