Rajiv

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Assis dans son fauteuil, Allan regardait son visiteur parcourir sa bibliothèque. A son réveil, il en avait vu des médecins et pas seulement pour soigner sa blessure ou évaluer l'étendue des séquelles. Deux ou trois d'entre eux étaient davantage intéressé par ce qu'il avait vu de l'autre côté. Comment était la lumière, les proches qu'il avait vus et toutes sortes de choses absurdes qu'Allan n'avait pas vu. Il ne s'était même pas senti "flotté" et non, il n'avait pas vu son corps de l'extérieur. Il les avait envoyés balader, et Rajiv faisait parti du lot, en leur disant que de l'autre côté, tout était sombre.

Maintenant, il attendait que ce même Rajiv ne pose les mêmes questions parce qu'Allan en était sûr, cette histoire d'autre chose derrière la lumière, c'était du flan pour pouvoir rentrer chez lui. Voir même, faire du repérage pour un futur cambriolage. Peine perdue, Allan n'avait pas d'objet de valeur. A part ses livres d'une édition basique.

- Que des bibliographies, constata Rajiv. La vie des grands hommes vous intéresse.

- Pas leurs vies, uniquement leurs actes.

- Parce que ce qui définit un homme, ce sont ses actes.

Les deux hommes se dévisagèrent. A cet instant, ils semblaient être sur la même longueur d'onde. Et ça, ça ne leur était jamais arrivé, ni à l'un ni à l'autre.

- Je suis Népalais, continua l'étranger d'une voix presque monocorde comme si cette information pouvait intéresser Allan.

- Et qu'attendez-vous de moi ? finit par lui demander Allan.

- Et bien, que vous mouriez à nouveau, évidemment.


En fait de mourir, Rajiv parlait surtout de revivre cet instant où Allan était passer de l'autre côté, même s'il n'aimait pas beaucoup cette expression. Passer de l'autre côté impliquait une frontière, voir une porte. Or pour le Népalais, le royaume des morts ne se délimitait par un mur avec une porte. Pour lui, c'était un monde à part entière. Alors si Allan était d'accord, ils parleraient de l'autre monde ou du monde des morts. L'Anglais s'en moquait. Rajiv pouvait l'appeler comme il le voulait. Tout ce qui intéressait Allan, c'était de retrouver la pleine conscience de son nom pour pouvoir reprendre une vie normale et aller travailler. Il se sentait inutile mais ça, il ne l'avouerait jamais.

Mais selon les critères de Rajiv, Allan était terre à terre alors que celui-ci se définissait comme quelqu'un de pragmatique. Peu importait, ça posait quelques problèmes au Népalais parce que l'Anglais était peu réceptif à l'hypnose. Déjà, il ne parvenait pas à se détendre.

- Je suis détendu, répondit Allan toujours allongé sur son canapé et les yeux fermés.

- Pensez à un endroit où vous vous sentez bien.

Allan tourna brutalement la tête pour regarder le Népalais assis sur une chaise. Un endroit où il se sentait bien ? Mais Allan ne se sentait bien nulle part !

- Alors imaginez un endroit où vous pourriez vous sentir bien.

Allan regardait toujours Rajiv. Ses parents lui avait souvent dit qu'il n'avait aucune imagination.

- Fermez les yeux, soupira le Népalais, et visualisez une vaste plaine de roche sombre. La même roche noire que sur ces îles volcaniques nouvellement émergées des flots. Il fait sombre mais c'est une obscurité rassurante. Vous vous sentez bien dans cet endroit. Vous y êtes à l'abri. Rien ne peut vous atteindre. Vous ne vous êtes jamais senti aussi bien que maintenant. Votre respiration est calme et régulière. Elle vous apaise.

Les yeux de nouveau fermés, Allan écoutait la voix devenue monocorde de Rajiv. C'était étrange, il parvenait sans peine à visualiser cet endroit que lui décrivait le Népalais. C'était comme s'il y avait déjà été... Il se redressa brusquement pour regarder son visiteur.

Le sourire de KanonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant