4 - Des reproches

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Je referme la portière et soupire, soulagé d'avoir laissé le mauvais temps de cette nuit hors de la voiture. Tout en m'attachant, je jette un regard à ma gauche et souris quand le hayon côté conducteur s'ouvre sur Dorian qui replie le parapluie dont il s'est servi pour nous protéger. Il s'installe derrière le volant et glisse le pépin sur le sol à l'arrière. Je ne peux m'empêcher de lui ébouriffer les cheveux pour faire tomber un maximum de pluie qui s'est faufilée dedans.

— Ça va ?

Il tourne la tête vers moi, m'adresse un timide sourire et démarre sans dire un seul mot. L'album de James Bay reprend à l'endroit où je l'ai laissé quand je suis arrivé en fin d'après-midi et la musique envahit l'habitacle nous privant d'un échange. Je ne m'inquiète pas pour Dorian, cela ne le dérange pas. Je suis l'unique personne au monde à avoir le droit à ses silences qui me bouffent un peu plus à chaque fois.

— C'était une bonne soirée finalement, non ? tenté-je malgré la voix de James et le fait que je sache qu'il n'est pas du même avis.

Il se contente de hocher la tête alors qu'il y a encore cinq minutes, chez Gareth, il alignait les phrases sans problème. C'est vraiment rageant pour moi. Je me détourne et souffle à fond en posant mon coude sur le rebord de la fenêtre fermée. Je laisse mon regard accrocher le peu de lumière qui éclaire les quartiers que nous traversons pour rejoindre notre appartement.

Je n'aime pas quand il agit ainsi et j'ai l'impression qu'il est de plus en plus taciturne avec moi alors que je n'ai rien changé à ma manière d'être avec lui. Je ne lui ai rien fait, rien dit non plus et pourtant, ce n'est pas l'envie qui manque parfois de lui dire ma façon de penser. Mais depuis que nous nous sommes rencontrés, je le laisse contrôler, gérer notre relation comme il l'entend, aller à son propre rythme.

Je tiens trop à lui pour le brusquer, pour lui en demander plus. Ou moins. Parce que, oui, après tout, je pourrais partir de chez nous en claquant la porte une bonne fois pour toutes quand il m'ignore comme il le fait à cet instant. Je pourrais alors croiser la route de quelqu'un de vrai, de tendre, d'aimant, de compréhensif, de démonstratif, de confiant... Je pourrais être enfin heureux du matin au soir. Et du soir au matin.

Mais je ne le fais pas. Je suis faible. Je l'aime. Je l'ai toujours aimé...

Je soupire encore et passe ma main sur la vitre pour retirer un peu de la buée qui s'est formée à cause de mon souffle. Je remarque alors au loin les décorations de Noël de nos voisins et je suis presque soulagé d'être arrivé.

Dorian engage la voiture dans l'allée qui mène au parking souterrain de notre immeuble, ouvre le garage avec la télécommande et termine d'entrer. Il stationne le véhicule avant d'éteindre le moteur. Le silence revient et je crois que je préférais quand James nous chantait quelques rimes. Je me dépêche de défaire ma ceinture puis d'attraper la poignée de la portière. Alors que je m'apprête à l'actionner, Dorian décide de parler :

— Tu étais obligé de le prendre dans tes bras ?

J'ouvre les yeux en grand avant de pencher un peu la tête vers lui et le fixer un instant, juste le temps de comprendre sa question. Je lâche la poignée et me tourne complètement vers Dorian, les sourcils froncés. Parce que, sérieusement, il ne m'a pas adressé la parole de tout le trajet pour... ça ?

— Je... J'ai toujours fait ça, je réponds simplement. Avec tout le monde.

— Pas avec tout le monde. Les gens que tu ne connais pas, tu ne le fais pas et tu ne le connais pas ce mec. Alors pourquoi tu l'as pris dans tes bras ? répète-t-il. Tu veux son numéro ? Sortir avec lui ?

— Je n'ai jamais voulu sortir avec lui ! m'exclamé-je, choqué.

Après trois ans, il ne m'a toujours pas compris ?

— Mais tu ne dirais pas non. Tu l'as dévoré du regard toute la soirée !

— C'est n'importe quoi, Dorian. La seule personne avec qui je veux être, c'est toi ! En plus, Hayden et Gareth se bouffaient littéralement des yeux. Tu l'as pas vu ?

— Oh ! Tu dois être déçu alors...

Il secoue la tête de droite à gauche et sort de la voiture sans rien ajouter. Je lève les yeux au ciel parce que j'ai le droit au grand jeu ce soir, j'ai l'impression. Je suis en règle générale, patient, surtout avec Dorian, mais parfois, c'est plus difficile de l'être. Je poireaute quelques secondes, rassemblant mon courage pour pouvoir encore une fois, je vais devoir prendre sur moi.

Je me passe les mains sur le visage, retiens un sanglot et sors. Bien entendu, il ne m'a pas attendu. Avec une lenteur exagérée, je monte les escaliers, après avoir snobé l'ascenseur et arrive à notre étage où notre porte d'appartement est entrouverte. C'est déjà ça...

J'entre, ferme à clé derrière moi et accroche mon manteau à la patère faite à cet effet. Je tends l'oreille et remarque l'eau tomber sur les carreaux de la douche. Je balance mes chaussures plus loin et me dirige vers la cuisine où je me prépare un thé.

Une fois terminé, je l'emporte avec moi dans le salon et me vautre dans notre canapé. Le mug entre les mains, je laisse mon regard balayer la pièce pour redécouvrir tous les objets qui s'y trouvent et en particulier nos photos. Celles avec la famille de Dorian, celles avec Gareth et Charlie, mais surtout, celles de nous deux. À nos anniversaires. Pendant nos parties de FIFA. Pendant notre semaine à Londres. Ou notre weekend à Édimbourg. Et durant le séjour à Paris dont il m'avait fait la surprise.

Je me pince les lèvres et bois un peu de mon breuvage puis souris en voyant son billard miniature qui se trouve sur la table basse. Ma console de jeu sur le meuble de télé. Son casque audio sur le fauteuil. Mes clubs de golf que j'ai encore laissé traîner dans un coin après ma partie hier soir. Nos collections de DVD et CD que nous avons combinées pour n'en former qu'une seule.

Ce salon, c'est nous. C'est ce mélange équilibré de nos personnalités. C'est la représentation factice de notre relation parce qu'il n'y a rien d'équilibré dedans.

Je bois encore une gorgée et bascule la tête en arrière, les yeux fermés. Je l'attends. Il va venir, non ? Après sa douche, il va me rejoindre pour me prendre dans ses bras. Il ne peut pas aller se coucher sur ce malentendu. Parce que ce n'est qu'un stupide malentendu. Je n'ai jamais pensé à Hayden de cette manière. En plus, à priori, ce n'est pas moi qui intéressais Hayden, mais plutôt un papa célibataire...

L'eau cesse de couler et les minutes s'étirent. Mon thé disparaît, mais Dorian n'apparaît pas dans le salon et soudain, une porte s'ouvre avant qu'une autre claque. Il est parti se coucher. Qu'est-ce qu'il peut me faire chier quand il est quand même !

Alors je fais ce qu'il veut de moi et rends les armes. Mon mug laissé dans l'évier, j'éteins toutes les lumières sur mon passage. Je m'arrête un court instant devant la salle de bain et m'enivre pendant de longues secondes de l'odeur de son gel douche. Comme un drogué. Je soupire avant de rejoindre ma chambre et mon lit vide.

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