10 - De la fuite

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Je traverse le couloir le plus rapidement possible et quand j'arrive dans l'entrée, je me fige. Les parents de Dorian assis sur le canapé et Nicola debout devant la télé sont tournés vers moi. Leur peine sur leurs traits donne un écho à la mienne.

J'aimerais me jeter dans les bras de Judith, l'entendre me dire que tout va s'arranger. J'aimerais sentir la main de Nicola caresser mon dos comme une sœur réconfortant son petit frère. J'aimerais voir Jack faire les cent pas devant moi, cherchant une solution pour réparer les choses de la même manière qu'avec une machine tombée en panne.

Mais rien de tout ça ne va se passer parce qu'ils ne sont pas de ma famille. C'est à Dorian qu'ils vont réserver tous ces gestes. Je baisse les yeux et me retiens difficilement de ne pas éclater en pleurs comme un enfant. J'attrape alors mon manteau et leur souffle :

— Je suis tellement désolé...

On m'appelle, mais je pars. Je fuis. Je décampe. À toute vitesse. Je n'ai jamais dévalé aussi vite les marches de l'immeuble, je n'ai même pas peur de tomber. Qu'est-ce que j'en ai à faire de me casser un bras ou une jambe ? Ma vie ne peut pas être pire qu'aujourd'hui alors une blessure en plus ou en moins, qu'est-ce que c'est ?

J'arrive dans le parking où Dorian a garé la voiture hier soir et monte dedans. Ma main tremble tellement que j'ai du mal à entrer la clé dans le contact. Je souffle un bon coup et démarre enfin. Il faut que je parte. Cependant, à cause de la précipitation ou plus vraisemblablement de ma vue un peu floue, j'ai éraflé tout un côté du véhicule. Ce n'est pas grave, ce n'est que matériel alors que mon cœur, lui...

Au premier stop auquel je m'arrête, je me pose une question et pas des moindres : où est-ce que je peux me réfugier ? J'ai bien envie d'accourir chez Gareth, mais avec Charlie et peut-être même Hayden si leur petit-déjeuner s'est éternisé, l'idée s'évanouit aussi vite qu'elle est apparue.

Je hurle et frappe à plusieurs reprises sur mon volant, klaxonnant au passage sans le vouloir. Je n'ai nulle part où aller. Nulle part. Aucune personne dans ma vie en dehors de Gareth et Dorian. Je respire avec difficulté et passe la première en m'engageant à droite sans même regarder s'il y a des voitures ou pas.

Je vais rouler. Encore et encore. Et je m'arrêterai quand j'en aurai marre ou n'aurai plus d'essence dans le réservoir. Je m'en fous. Je me trouverai un petit B&B pour la nuit et attendrai mardi comme un condamné à mort anticipe sa pendaison.

Je passe la seconde, la troisième, ne faisant plus attention à la vitesse à laquelle je vais. Qu'on m'appréhende, qu'on m'enferme, qu'on me juge. Plus rien n'a d'importance. Et les kilomètres défilent. Les routes se succèdent. Les maisons disparaissent. Le Soleil s'éteint. La Lune me nargue. Et les pleurs reprennent.

Soudain, je m'arrête sur le bas-côté et suis surpris en voyant l'endroit où je me trouve. Le golf. Je ricane tout seul et engage ma voiture dans l'allée jusqu'au portail. Je descends ma vitre et fais face au gardien. Malgré son sourire, son regard me prouve que mon état l'inquiète. Il faut dire que je ne dois pas être incroyable avec mes yeux rouges et bouffis. Pareil pour tout mon visage.

– Bonsoir monsieur O'Connor !

– Bonsoir.

– Comment allez-vous ?

Je hausse les épaules.

– Je... Je vis le pire Noël de toute ma vie.

– C'est un jour comme un autre, monsieur.

Je fronce les sourcils à sa phrase. C'est vrai que pour lui, ça doit ressembler à un jour banal de travail.

– Pour vous, peut-être, murmuré-je, en me grattant l'arrière du crâne.

– Ou alors à vous de l'améliorer.

Mes paupières se ferment un instant tout en retenant mon rire triste. Vu la situation, il est trop tard pour inverser la tendance, j'en ai bien peur.

– Je crois que c'est impossible, soufflé-je plus pour moi-même que pour le gardien.

– Je...

Il jette un regard vers le club qui nous surplombe. Il secoue la tête comme s'il reprenait ses esprits.

– Le parcours est fermé, m'apprend-t-il, désolé.

Je soupire, j'aurais dû m'en douter. Du bout des doigts, il tapote à plusieurs reprises la surface devant lui et déclare enfin :

– Mais je peux me débrouiller pour vous laisser le practice ouvert une petite heure.

Soulagé, je relève le regard vers lui. À cet instant, il ressemble au père Noël.

– Oh ce serait génial ! m'exclamé-je.

– Vous avez besoin de clubs, je suppose ?

Un coup d'œil derrière moi me fait prendre conscience que mon caddie est à l'appartement. Dans un coin du salon. Dorian m'avait demandé de le ranger, mais je n'ai pas trouvé le temps de le faire. Je soupire et confirme.

– Pas de souci, je vais prévenir Zain, il vous en fournira.

– Merci.

J'ai la sensation d'avoir gagné au loto. Il ne pouvait pas me faire plus beau cadeau de Noël.

– Merci pour tout.

– De rien.

Un petit silence s'installe alors que le portail s'ouvre devant moi, mais je n'avance pas.

– Tout va s'arranger, monsieur O'Connor.

Ça n'arrivera jamais, mais c'est beau de rêver. Voilà ce que j'ai envie de lui répondre, mais à la place, je me contente de banalités :

– Peut-être. En tout cas, encore merci, Oliver.

– Appelez-moi Olly.

Il me fait un grand sourire réconfortant et ajoute :

– Si vous avez besoin, n'hésitez pas. Je suis là jusqu'à vingt heures.

Je hoche la tête et démarre. Je referme la vitre, monte la petite côte et vais me garer devant le bâtiment. Et je me repasse les mots d'Olly : à vous de l'améliorer. Et je fais ça comment moi ?

Je sursaute quand j'entends un coup porté à mon carreau. Je me tourne et vois un jeune homme de mon âge, plié en deux pour être à la hauteur de la portière. Malgré le peu de lumière, je remarque sa peau mate, ses yeux noirs, ses longs cils, ses lèvres pleines, les tatouages que son polo blanc cache difficilement.

OK, j'ai peut-être un moyen de l'améliorer...

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