13 - Des sanglots

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— Et puis merde, putain !

Sa vulgarité me percute de plein fouet. Je l'observe s'éloigner de moi sans un mot. Alors que je pense qu'il va partir, il s'assoit sur un banc. Il se passe les mains dans les cheveux à plusieurs reprises puis les pose au niveau de ses épaules. Pendant un instant, il se les masse, la tête basculée en arrière. Il ne me regarde pas. J'ai même l'impression qu'il essaie d'oublier ma présence ici et je ne sais pas comment le prendre jusqu'au moment où sa voix résonne dans un murmure :

— Je t'aime.

Je mets de longues secondes pour réaliser. Mes yeux s'écarquillent sous la surprise. Alors celle-là, je ne m'y attendais pas ou plutôt, je ne m'y attendais plus. J'en rêve depuis des années mais j'ignore comment réagir à cette déclaration. Lui sauter au cou pour l'embrasser ou lui dire que c'est trop tard et partir ?

— C'est con. Je te l'avoue qu'aujourd'hui alors que je te perds... Que je t'ai perdu ! Pourtant je le sais depuis toujours.

Ma respiration se bloque. Mon cœur va exploser.

— C'est vraiment con. Et ça ne s'explique pas. Crois-moi, j'ai cherché à comprendre.

Mes mains se mettent à trembler.

— J'ai cherché une raison pour que tout ça soit possible. Mais j'ai rien trouvé. Ça m'énerve d'être dans ce flou, mais... je suis heureux de t'avoir dans ma vie.

Les larmes me montent aux yeux tandis qu'il laisse ses bras tomber sur ses cuisses. Le silence nous enveloppe un court moment durant lequel, je ne sais pas quoi répondre. Oui, Dorian m'a dit des jolies choses, mais en même temps, tout ça semble m'indiquait le contraire. C'est compliqué à appréhender.

— Je... Je ne devais pas me trouver là. Chez Eli, je veux dire, se corrige-t-il.

À ma grande surprise, je prends conscience que je ne connais pas l'histoire de notre rencontre du point de vue de Dorian. Alors je l'écoute avec attention, me raccrochant au passé :

— J'étais pas bien à cette époque. Dan avait fait son arrêt cardiaque et Gareth allait reprendre l'entreprise. Ce matin-là, on venait d'apprendre qu'on avait perdu un gros chantier... Par ma faute...

Il se passe les mains sur le visage, chassant sûrement la culpabilité qu'il ressent encore.

— J'avais couché avec la fille des clients et ils n'avaient pas trop apprécié que je ne la rappelle pas.

Je grimace parce que je déteste quand il me parle de ses ex ou ses conquêtes.

— Je m'en voulais tellement, parce qu'on n'était pas dans une très bonne période. Enfin, tu dois t'en souvenir vu que tu t'es occupé des comptes après.

Oh oui, je m'en rappelle ! J'avais même refusé de percevoir un salaire pendant trois mois alors que je squattais déjà chez Dorian. J'avais dû pendant ce temps-là, puiser dans mes maigres économies et faire quelques petits jobs par-ci, par-là pour subvenir à mes besoins.

— Tu connais Gareth... Il était très énervé et je le comprenais parfaitement. J'étais persuadé qu'il allait me mettre dehors alors je suis allé chez Eli pour manger un truc. Je voulais reculer le moment où il allait devoir me le dire.

Je fronce les sourcils parce que, de ce dont je me souviens, Gareth n'a jamais eu l'intention de virer qui que ce soit. Et surtout pas Dorian, son ami d'enfance. À la place, il a fait comme moi. Il n'a pas perçu de salaires pendant des mois pour s'assurer que ses employés aient quelque chose, eux.

— Quand j'ai entendu la porte du café tinter, à ce moment-là, j'ai levé les yeux. Tu venais d'entrer. Dès cette seconde, dès cette première putain de seconde, je t'ai aimé.

— OK, je crois que j'ai besoin de m'asseoir aussi, soufflé-je, presque paniqué.

Je devrais rejoindre le banc, mais j'en suis incapable. Mes jambes ne me portent plus. Je m'installe à même le sol. J'entoure mes genoux de mes bras et ferme les paupières. Les mots de Dorian semblent alors me pénétrer plus profondément :

— Je ne te connaissais absolument pas, je t'avais même pas encore parlé et pourtant... Je t'ai aimé immédiatement.

J'ouvre les yeux. Dorian a relevé la tête et plonge son regard dans le mien pour la première fois depuis qu'il me raconte tout ça. Il attend que je réponde quelque chose, mais quoi ? Que je l'aime aussi ? Il le sait déjà, je le lui ai répété sans cesse pendant ces trois ans. Il détourne les yeux et continue :

— J'ai tout fait... Tout... Pour que... ça soit faux. Je ne désirais pas, je...

— Oui, j'avais cru comprendre, le coupé-je, un peu rancunier. Merci.

— Je suis tellement désolé, Blaise. Je ne souhaitais pas te blesser, je... Je cherchais juste à me protéger.

— Te protéger de quoi ? Sérieusement ? Tu penses que j'aurais pu te faire du mal ? Moi ?

— Oui ! crie-t-il. Enfin non... Je ne sais pas. Je... ne veux pas être... ça !

Je déglutis en écoutant ses mots. Ils me blessent réellement. Pas autant que ceux qu'il a dits à Nicola, il y a quelques heures, mais ils me touchent durement quand même.

— Je ne voulais pas être différent. Je ne voulais pas...

Il baisse la tête et son corps commence à bouger au rythme de ses sanglots, juste avant qu'ils me soient audibles. Ils me brisent le cœur. Dans un élan instinctif, je me redresse et me précipite sur lui. Je l'enlace sans réfléchir parce que quoiqu'il se soit passé aujourd'hui, je l'aime ce mec. Plus que tout. Et je ne peux pas le laisser pleurer sans rien faire.

Aussitôt, il lâche prise, son visage caché dans le creux de mon cou, ses mains fermement accrochées à mes habits. Nous restons ainsi une éternité. Dorian sanglotant dans mes bras. Moi oubliant momentanément toutes les blessures qu'il a pu m'infliger. Je prends conscience qu'il souffrait autant que moi.

— Je suis vraiment désolé, me répète-t-il à plusieurs reprises entre deux pleurs.

— Je sais...

Les larmes me montent aux yeux à mon tour. Je déteste le voir se mettre dans cet état et encore moins pour cette raison... Il m'aime, c'est tout. Il ne fait rien de mal et pourtant, il en souffre tellement. Ce n'est pas normal.

— Je ne peux pas être gay, déclare-t-il dans le silence du practice. Je ne veux pas.

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