18 - Des regards

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J'aime ce petit restaurant, moins que « Chez Eli » qui a une valeur sentimentale toute spéciale pour moi, mais c'est toujours un plaisir d'y venir. Il y a une ambiance chaleureuse et la nourriture est absolument fabuleuse. Je suis content que Dorian l'ait choisi pour notre premier rendez-vous. Je tripote nerveusement la rose à ma boutonnière et souris niaisement tandis que Dorian s'approche du comptoir. Il annonce alors :

— Bonsoir, j'ai réservé pour deux au nom de Moore.

La serveuse tourne une page de son cahier et relève la tête :

— Oui, la table à l'abri des regards !

Mon cerveau bloque aussitôt à la déclaration de l'employée pendant que mon corps, lui, continue de fonctionner sans problème. J'avance, les mains dans les poches de mon pantalon de costume. Un pied après l'autre. Je serre les dents puis m'installe à la place qu'on m'indique, mais je n'entends rien. Ne comprends rien. Ces mots m'envahissent mon esprit.

À l'abri des regards

La serveuse nous donne une carte et s'en va, nous laissant le temps de faire notre choix. Tel un automate, je regarde la liste des plats. Des pizzas. Des pâtes. Des trucs que je ne connais pas. Du poulet. Mais plus rien ne me fait envie.

À l'abri des regards

Je détourne mon regard et le pose sur Dorian qui semble très intéressé par ce qu'il lit.

— Je pense que je vais me laisser tenter par les lasagnes. Elles ne seront sûrement pas aussi bonnes que les tiennes, mais ça se mange, non ?

Il relève la tête et me sourit, naturellement. Je hausse les épaules et lâche la carte. Je n'ai pas faim.

— Tu as déjà choisi ? s'étonne-t-il.

Il me connaît et sait qu'au restaurant, je mets une éternité pour me décider. Je déglutis. Je détaille les alentours et en effet, nous sommes à l'abri des regards. Nous sommes au fond de la salle, dans une sorte d'alcôve. Je veux partir d'ici.

— À l'abri des regards, répété-je, sentant la colère monter en moi.

— Oui.

C'est tout ce qu'il me répond ? Il m'invite au restaurant et la première chose qu'il leur demande, c'est que nous ne soyons vus de personne ? Et c'est comme ça qu'il me prouve qu'il assume d'être avec moi ? Je mets sur mes genoux, ma serviette avec plus de brusquerie que nécessaire. Cela l'interpelle :

— Qu'est-ce qui t'arrive ?

— Ce qui m'arrive ? Mais rien, on est bien là. À l'abri des regards.

Je lève la tête et observe à nouveau la salle.

— Personne ne risque de nous voir. Tu dois être content.

Il soupire et pose ses avant-bras sur le bord de la table en se laissant aller dans le dossier de sa chaise.

— Alors c'est ça qui te gêne ?

— Ouais, ça me gêne ! Tu m'avais dit que, commencé-je avant de baisser le ton, ne désirant pas faire une scène ici. Tu assumerais et dès la première occasion, tu nous... mets au placard !

— Je ne mets personne au placard. Je voulais...

— Si !

— Non ! élève-t-il un peu la voix avant de se reprendre très vite. Écoute...

Il passe une main sur le bas de son visage en jetant des regards autour de nous.

— Dans cette simple salle de restaurant...

Il fait un geste de l'index vers le reste de la pièce et continue :

— Je connais au moins trois personnes. Des clients et un fournisseur. Et je n'ai pas eu le temps d'apercevoir toutes les tables. Alors, excuse-moi, si ça ne te convient pas, mais il est hors de question qu'ils me voient roucouler avec mon petit-ami. On n'est pas à Londres ou New York. On est à Doncaster ici. C'est une petite ville, tout le monde se connaît, tout le monde parle de tout le monde. Je sais que demain, Andy va me demander comment était mon dîner quand il m'apportera ma commande. Et que les Roy vont me dire comme c'était drôle de se retrouver dans le même restaurant. Et je peux déjà entendre toutes leurs manigances pour savoir qui tu es.

Je suis étourdi par son discours. J'ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort.

— Alors, ouais, j'ai demandé une table à l'abri des regards parce que je voulais être tranquille avec toi. Et tu aurais été une femme, ça aurait été la même chose.

Je baisse les yeux. Je néglige facilement le fait que Dorian est né et a grandi dans cette ville. Il travaille avec du public. Il connaît tout le monde et tout le monde le connaît. Il faut que je me calme et surtout que je lui laisse une chance de me montrer de quoi il est capable.

— Après si tu t'attends à ce que je te renverse au milieu de cette pièce pour t'embrasser comme dans ces stupides films romantiques... Tu peux oublier tout de suite parce que je ne le ferai pas. Ni aujourd'hui, ni demain, ni jamais. Je ne suis pas comme ça.

— Je ne te demande pas ça...

— Tu en es sûr ?

Je ne sais plus ce que je veux. Certainement pas qu'il me renverse pour m'embrasser. Moi non plus, je ne suis pas le genre à exhiber ma vie privée.

— J'ai peur, lui avoué-je tout bas.

Il me prend la main et la serre au-dessus de la table.

— Je fais de vrais efforts, Blaise. Je veux dépasser cette voix et cette peur que j'ai. Je souhaite plus que tout te prouver que tu es la personne qui compte le plus pour moi. Mais ça veut dire que tu dois aussi me faire confiance quand je te dis tout ça.

Mes yeux fixent nos mains liées et je renifle malgré moi. Je suis trop émotif comme garçon. Mais il a raison, je dois lui faire confiance. Je hoche la tête de haut en bas et le sourire que me renvoie Dorian est éblouissant.

— Génial ! s'écrie-t-il. Alors tu as choisi quoi ?

— Je... je n'ai même pas regardé.

Dorian rit et essaie d'enlever sa main pour sûrement me laisser libre de mes mouvements, mais je la garde. J'en ai besoin. Elle ancre dans mon esprit tous les progrès que Dorian fait pour moi, pour nous.

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