38 _ Le jeu en vaut la chandelle

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Lorsque je me réveille, je suis la seule à trouver la force de me lever du lit. Eliott grogne en se tournant de l'autre côté du matelas. Quant à Chester, il ne semble pas remarquer ma présence. Alors, je me dirige vers le rez-de-chaussée où se trouve mon sac que j'ai abandonné la veille. J'y récupère mes vêtements propres avant d'aller prendre une douche rapide. Lorsque je quitte la salle de bain, j'aperçois le menuisier dans la chambre, assis sur les draps.

Il pivote vers moi. J'ai l'impression qu'il n'a pas dormi de la nuit tant ses cernes paraissent importantes. Son chien ronfle toujours, imperturbable.

— Je vais t'emmener à la gare, annonce-t-il d'une voix rauque.

J'acquiesce simplement. Finalement, je ne cherche pas à rassembler mes affaires puisque je reviens dès ce soir. Alors, j'avale un café puis suis Eliott jusqu'à son pick-up. La démarche raide et rapide, il a l'air totalement ailleurs. Par conséquent, le trajet se fait dans un silence lourd. Il est si tôt que nous ne croisons que très peu de voitures. L'astre du jour n'est pas encore entièrement levé alors, nous progressons dans une atmosphère sombre, bien qu'éclairée par quelques rayons d'un soleil levant.

Mon conducteur, taciturne, ne prend pas la peine d'allumer la radio. Son animal est resté dans la cabane dans les bois. Si bien que je me retrouve isolée avec cet homme torturé. Doucement, je pose ma main sur sa cuisse. Il sursaute, donnant un léger coup de volant. Puis, il grimace alors, dans le doute, je me retire.

Blessée par son rejet, je ramène mes genoux contre ma poitrine afin d'y poser mon menton. Pour quelle raison refuse-t-il mon approche? Ai-je fait ou dit quelque chose qu'il ne fallait pas? Fronçant les sourcils, j'observe le bitume face à nous. Je me sens désarçonnée par son comportement. Il ne parle quasiment pas, s'enfermant dans un mutisme inquiétant. Peut-être est-ce trop tôt? Le sommeil lui manque-t-il? Suis-je en faute?

Rembrunie par cette distance, je me rends compte que nous nous trouvons déjà face au bâtiment. Nous descendons de la voiture, toujours en silence. Nous nous dirigeons vers le quai en traversant le hall. Une fois face aux rails, nous patientons. Progressivement, je me sens tirée vers le bas. Repoussée par l'homme que j'aime sans comprendre pourquoi. Ainsi, au moment où le train arrive, je ne sais pas à quoi m'attendre. Et surtout pas à :

— Tu n'aurais pas dû venir.

Blessée en plein cœur, je recule d'un pas. N'y croyant pas, je vérifie la couleur de ses prunelles : vert et bleu. Je me situe bien devant Eliott pourtant. Malgré tout, sa voix ne m'est jamais apparue aussi froide. Cependant, je perçois instantanément qu'il regrette ses paroles. Néanmoins, j'ai fait le chemin jusqu'ici pour pouvoir le soutenir. Je ne mérite pas une telle mesquinerie. Je détourne vivement le regard, meurtrie par sa remarque. Il se met à bafouiller, se confondant en excuses, affirmant qu'il s'est mal exprimé. Seulement, le mal est fait.

Face à moi, la locomotive s'apprête à repartir. Par conséquent, je pivote vers lui :

— Dans ce cas, ne compte pas sur moi pour faire le chemin inverse ce soir. Manifestement, je te dérange plus qu'autre chose, affirmé-je, la voix tremblante.

Puis, je m'avance vers la marche du train dans l'optique d'y monter. Mais, il s'empare de mon poignet avant mon mouvement. Je me débats jusqu'à ce qu'il me relâche en me tournant vers lui. Surprise par son visage désemparé, je ne parviens pas à réprimer mon ressentiment.

— Je n'y suis pour rien! m'exclamé-je.

Heureusement, quasiment personne ne prend le train à une heure aussi matinale alors, le lieu semble presque vide. Malgré tout, quelques larmes coulent sur mes joues. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour l'aider. Absolument tout. Voilà comment il me remercie : je ne suis pas la bienvenue ici. Alors qu'hier soir, il avait l'air d'avoir besoin de moi. C'est à n'y rien comprendre.

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